Avez vous la foi ? C’est une question qu’on vous a peut-être posé. Les gens peuvent aussi répondre à cette question : « moi, je n’ai pas la foi », « j’ai perdu la foi », « j’aimerais avoir la foi ». Mais la foi en quoi ?
Tout le monde connaît l’histoire en Matthieu 14,22-33 où les disciples sont dans une barque et Jésus – puis Pierre – marchent sur l’eau. Dans cette histoire, en quoi Pierre – qui est un peu le porte-parole des apôtres et de nous croyants d’aujourd’hui – a-t-il la foi ?
Une foi scientifique
A Jésus qui lui dit « Ayez confiance, c’est moi, n’ayez pas peur », Pierre répond « Seigneur, si c’est toi, ordonne moi d’aller près de toi sur les eaux ». Pour croire en lui, Pierre demande à Jésus qu’il démontre que c’est bien lui. Il faut qu’il fasse un acte de puissance, un miracle, donne une preuve, montre sa pièce d’identité de messie. En quoi Pierre a-t-il la foi ? Pierre a foi en la démonstration, la preuve. Il a une foi assez rationnelle, scientifique : « si ceci, alors cela », « Si Jésus fait cela, alors il est le messie ». Il a foi en l’expérience qu’on peut répéter : ce qui définit la science. Ça peut paraître étrange de dire que le miracle est ce qui se rapproche le plus de la science, de la technique. Mais le miracle est comme en science ce qui se voit, se mesure, se vérifie, se répète. D’ailleurs, les églises – je pense par exemple, aux églises évangéliques néo-pentecotistes qui se reconnaissent dans la théologie de la prospérité comme au Brésil – qui mettent le plus en avant les miracles sont celles qui sont le plus intégrées dans la modernité économique et technique, en faisant une large place à l’argent, la télévision, internet, les réseaux sociaux…
Pour Pierre, cette foi rationnelle, scientifique, technique, ne marche pas longtemps. Il voit un vent fort, il a peur, il se met à couler. Il avait foi dans l’acte de puissance de Jésus, mais il suffit d’un vent fort et il lui accorde plus d’importance qu’au miracle. Il a foi dans le vent.
Une foi matérialiste
C’est une deuxième foi, après la foi technique : la foi matérialiste. Croire que ce qui compte c’est le vent, c’est le chemin qui est trop long, le soleil qui est trop fort.
Au niveau social, cela existe aussi. C’est la pensée économique libérale qui pense qu’un sou est un sou, qu’on ne peut pas dépenser plus qu’on ne produit, qu’on ne peut produire que s’il y a la carotte du profit. Ou inversement, la pensée marxiste : l’important est qui possède le capital, qui a le pouvoir… Cette foi croit en les choses, la force des choses, l’ordre des choses, la matière comme indépassable, le monde comme il est. Jacques Ellul parlait de l’idolâtrie du fait qui qualifiait du néologisme de « faitalisme ». Remarquez que ces deux fois, la scientifiques et la matérialistes n’ont pas toujours tort. Elles décrivent certaines réalités. Comment tourne un moteur, vole un avion, tourne une économie… Mais dans ce récit de Matthieu, elles échouent.
Echec de ces manières de croire
La foi scientifique parce qu’il y aura toujours un vent fort, une pandémie, une explosion de CO2 dans l’atmosphère que la science explique mais qu’elle ne peut résoudre seule car il y a des facteurs sociaux, politiques, psychologiques qui entrent en jeu. La foi matérialiste parce qu’elle donne à penser que rien n’est possible, que le vent est plus fort, que l’économie c’est comme ça et pas autrement, que le monde est trop dur à changer.
D’ailleurs cette dernière foi empêche de reconnaître Jésus. Les disciples dans la barque ont d’abord foi… en la barque. Avez-vous remarqué que malgré le vent fort, le texte ne nous dit pas – contrairement à un autre texte plus tôt dans Matthieu – qu’ils ont peut et qu’ils appellent Jésus à l’aide ? Pas besoin, ils ont la barque. Et quand il arrive, alors qu’il viennent de le quitter, ils ne le reconnaissant pas, ils le prennent pour un fantôme. La foi en la solidité de la barque empêche de recevoir le Messie…
La foi « cri »-stique
Il y a une troisième foi dans cette histoire. Elle s’exprime par ce cri à Jésus : « sauve moi » auquel Jésus répond par un geste si simple que vous avez sans fait des centaines de fois : étendre la main et saisir celui ou celle qui coule ou trébuche. La foi qui crie en Christ. Il y a la foi scientifique, matérialiste, et – vous m’excuserez ce jeu de mot – la foi cri en Christ, la foi cri-stique.
La foi matérialiste et la foi scientifique sont celles qui fonctionnent dans l’ordre du possible. Du 1+1=2, du « l’eau ça mouille », « la pierre c’est dur ». Le foi cri-stique est celle qui rend les choses possible quand ça paraît impossible, la définition que Jacques Ellul donnait à l’Espérance. On croise cela souvent dans la Bible. De l’Ancien Testament où la mer rouge s’ouvre devant les hébreux en fuite, jusqu’à ce qui constitue le cœur de notre foi : la résurrection de Jésus, par excellence l’impossible devenu possible. Cette foi – qui s’exprime par le cri du « Sauve moi » – fait sortir du cadre dans lequel fonctionnent les fois scientifiques et matérialistes. Elle fait appel à un hors-cadre. Quand on a lâché et qu’on a été lâché par toute certitude, le cri du « sauve moi » fait intervenir une force externe au cadre : Jésus tend la main, nous saisit et ne nous lâche plus. Il faut lâcher pour être saisit.
Les fois raisonnables de la science et du matériel sont encore dans un certain confort et une sécurité, elles s’appuient sur ces choses rassurantes car démontrées, répétées à l’école et par les institutions.
Une foi qui vient des tripes
La foi cri-stique est un cri qui vient des entrailles, des tripes, du dernier recours de ceux qui n’ont rien : les gilets jaunes qui n’ont pas grand-chose à perdre, les femmes qui ont subit dans leur chair et leur intimité la violence masculine, les jeunes pour le climat qui ont peur d’une terre invivable…
Le cri du « sauve moi » est vital, ce n’est pas un « plus », une posture, un supplément d’âme : c’est une question de survie. Pour cette raison, ce cri est souvent excessif, malpoli, mal dit, déplacé… hors-cadre…
Il faut avoir été ou se mettre en danger si on veut connaître cette foi qui fait sortir ce cri des entrailles vers Jésus. Ceux qui dans leur vie ont connu ces expériences, ont cru ou failli tout perdre, ou beaucoup, soit ont perdu la foi parce qu’ils ont eu l’impression que Dieu n’était pas là dans ces moments là, soit ont cette foi là, celle qui donne une certaine sagesse, distance, relativité par rapport aux choses et à la vie. Car en entrant dans cette foi, se fait la boucle, avec l’adresse de Jésus aux disciples au début du texte : Ayez confiance, ne craignez pas.
Vous pensez sans doute à des personnes. Je pense à une paroissienne de la Maison Verte, à Paris, dans le 18e, où j’étais pasteur. Bénédicte était une toute petite dame, venue d’un pays d’Afrique de l’Ouest, pour une raison que je n’ai jamais réussi à savoir. Elle n’avait aucune chance d’être régularisées d’ici 10 ou 15 ans, avait sans cesse des problèmes de santé. Mais il n’y avait que moi qui m’inquiétait. Elle, elle avait Dieu à ses côtés qu’il l’avait saisie et ne la lâchait pas…
Cette foi vous paraît peut-être inaccessible ou pas nécessaire : après tout, s’il faut frôler la mort pour la connaître, autant s’en passer !
Cette foi n’est pas loin de vous…
Mais je crois qu’elle est plus proche que cela. Je crois qu’on y entre dès qu’on prend des risques, qu’on tente des choses dont on se pense – personnellement ou collectivement – incapable. Quand on reprend contact avec quelqu’un avec qui on était fâché. Quand on entre dans une équipe municipale et qu’on se dit qu’on n’y connaît rien. Qu’on aide des sans-papiers alors que les régularisations sont devenues si difficiles. Qu’on redresse son entreprise plutôt que licencier dans la période de crise actuelle. Qu’en paroisse, on essaye des nouvelles choses.
A chaque fois que l’on prend ces risques, on dit à Jésus « sauve moi » : il étend sa main, nous saisit et vient dans la barque avec nous, nous sommes avec lui, tous et toutes dans le même bateau.
Alors, vous avez foi, mais en quoi ? Cette foi peut-être appelée sans adjectif, ni foi en la science, ni en le matériel. En étant la foi du cri en Christ, cri-stique, elle celle qu’on appelle seulement « la foi », qui fait dire « j’ai la foi », fait dire de l’autre – qu’il soit chrétien, ou non – qui se lance avec courage dans des projets difficile : « il a la foi ».