Le sacrement de la division
De la Concorde de Leuenberg (1973) à la constitution de l’EPUdF, une partie des discussions entre les Églises luthériennes et réformées a porté sur la conception de la sainte cène. Cette perplexité n’est pas nouvelle puisque cette question avait déjà été débattue en 1529 lors du Colloque de Marbourg, où Luther et Zwingli constatèrent un accord total sur quatorze points de doctrine… mais pas sur le quinzième : la vision de la sainte cène. Aujourd’hui encore, ce point reste en suspens. Car la sainte cène – et la conception qu’on en a – reste un vrai sujet, et l’on a pu dire que la sainte cène était le sacrement de la division ! Pour Luther, comme pour les catholiques, quand on célèbre la Cène, le pain et le vin deviennent réellement le corps et le sang du Christ ; la différence toutefois avec la vision romaine tient au devenir des « saintes espèces » après la Cène : les catholiques considèrent que la transformation est définitive, ils parlent de « transsubstantiation », alors que pour les luthériens le pain et le vin redeviennent du pain et du vin après la célébration (consubstantiation).
Deux positions conciliables
Zwingli, souvent contradicteur de Luther, n’aimait pas cette conception, qu’il trouvait magique et de nature à favoriser les superstitions. Pour lui, le pain reste du pain et le vin reste du vin, le Christ nous rencontre dans nos cœurs et non dans des objets matériels ; quand nous prenons la Cène, il s’agit de nous rappeler à nous-mêmes et aux autres le dernier repas du Christ et son sacrifice. Pour utiliser une image triviale, l’alliance que portent les gens mariés n’est pas le mariage lui-même, mais le signe que l’on est mariés et qui nous le rappelle, à nous et aux autres.
Une opposition au départ aussi radicale rend difficile de parvenir à une entente. Les textes d’accord luthéro-réformés contemporains n’arrivent pas à proposer une conception commune de la Cène ; aucune formulation ne peut en « rendre compte de manière satisfaisante », dit l’un d’eux, ce qui revient à reconnaître qu’on n’a pas trouvé de solution. Il n’y a là rien de déshonorant, car il s’agit d’un problème très compliqué. La différence subsiste donc, mais on admet qu’elle ne justifie pas une séparation et que peuvent faire partie d’une même Église les tenants des deux positions*.
Et de fait, beaucoup de protestants – luthériens comme réformés – ignorent cette divergence et celle-ci ne les empêche pas de partager en toute sincérité le « sacrement du frère ».
*André Gounelle, doyen émérite de la Faculté de théologie protestante de Montpellier
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