Philon : La religion est un phénomène social. Elle donne à un peuple le sentiment de son unité à travers des croyances et des rites communs. Ezéchiel aurait dû préciser que c’est le peuple qui choisit d’être le peuple d’un Dieu qui sacralise son territoire et non l’inverse.

Socrate: C’est là notre condition humaine. Sans un rapport à l’espace, sans enracinement, nous sommes perdus. Nous avons besoin d’être habités, d’être rassurés par l’idée de la présence concrète de Dieu dans notre espace de vie. Ne sommes-nous pas des créatures finies en mal de protection et de lieux sacrés ? 

: De toute évidence l’idée de peuple de Dieu est une idée tribale et close. Elle suggère une élection potentiellement agressive à l’égard de tous les autres peuples qui n’ont pas la même conception de Dieu. Les hommes font les dieux dont ils ont besoin pour assurer la cohésion du groupe et sa puissance par rapport aux autres.

S : L’idée de peuple de Dieu est aussi une condition de croissance et d’ouverture. L’individu est enraciné dans les autres qui le portent. Dans un monde où les identités deviennent problématiques, il n’est pas indifférent de savoir qui on est, pour mieux pouvoir rencontrer les différences. C’est le « nous » qui est notre matrice et qui trace un cercle à l’intérieur duquel dialoguer et mûrir.

: Pourtant la modernité, en particulier avec la réforme protestante, a cherché à dépasser cette conception sociale de la religion en cultivant chez l’individu l’idée qu’il doit mener une quête personnelle qui engage sa conscience singulière. 

S : Sans l’appui d’une communauté et le maintien d’une tradition, l’individu ne peut s’engager sur ce chemin personnel. Il reçoit d’abord une langue et une morale qui lui viennent de plus loin. Le fait de vivre dans une communauté qui cultive la mémoire des pères de la foi, à travers la méditation de textes profonds, éveille la conscience d’un Dieu proche et qui nous parle.

Mais si nous sommes éveillés à la quête de Dieu, par la tradition, nous devons aussi nous affranchir d’elle. Les rapports à l’espace, au temps et à la collectivité sont essentiels à la vie spirituelle dans son commencement, mais il ne faudrait pas qu’ils nous empêchent d’accéder à l’universel et à l’absolu. Aucune confession ou communauté religieuse n’enferme la vérité divine. Celles-là sont toujours un organe-obstacle qui éveille et limite notre quête du Dieu qui transcende toutes les limites en nous invitant à entrer dans l’infini que chacun porte en soi.