Lorsque j’étais étudiant en théologie, à la fin des années soixante-dix, je me sentais enfermé dans une alternative qui m’apparaissait réductrice entre d’un côté l’exégèse historico-critique, et de l’autre l’exégèse fondamentaliste.
Mon cheminement
Ces deux démarches, si on les pousse jusqu’au bout, ont la prétention de dégager le sens objectif d’un passage. L’exégèse fondamentaliste privilégie le sens littéral du texte alors que dans l’exégèse historico-critique, à l’inverse, le sens apparaissait une fois qu’on a élucidé les conditions historiques de la fabrication du texte à l’aide des outils de la critique scientifique. Le projet est de remonter en deçà du texte pour mettre en valeur la parole fondatrice qu’il contient.
Je trouvais que l’exégèse fondamentaliste était une supercherie en raison de sa prétention d’aborder l’Écriture sans clé de lecture. En ce qui concerne l’exégèse historico-critique, je la trouvais attrayante dans sa dimension scientifique et dans sa volonté d’utiliser les outils dégagés par l’histoire, la linguistique et la sémantique, mais souvent d’une certaine pauvreté dans le domaine de l’interprétation.
Quand je me suis retrouvé en paroisse, appelé à prêcher tous les dimanches, je me suis trouvé démuni, car il ne suffit pas de déconstruire un texte, il faut encore le reconstruire pour dire une parole d’actualité, et cela on ne me l’avait pas appris. Comme tous les pasteurs, je me suis bricolé quelques méthodes d’interprétation sans trop les avoir réfléchies.
Dès cette époque, j’ai été attiré par les interprétations des auteurs juifs, et c’est en travaillant les principes de l’exégèse rabbinique que j’ai dépassé l’alternative dans laquelle je me sentais enfermé. Elle articule un profond respect du texte, un attachement à la lettre qui ferait rosir de jalousie le plus fondamentaliste des fondamentalistes, avec une grande liberté d’interprétation qui suscite une réelle fécondité dans la recherche permanente de significations nouvelles.
Les principes de la lecture rabbinique
Le respect du texte repose sur le postulat selon lequel le texte tel qu’il nous est parvenu est porteur de sens, jusque dans chacune de ses lettres. Pour éclairer ce point, je peux raconter une anecdote. Un jour que j’étais en dialogue avec un rabbin, je lui ai posé la question : « De toi à moi, les yeux dans les yeux, crois-tu vraiment que la Torah a été écrite par Moïse comme le prétend ta tradition ? » Tranquillement il m’a répondu : « Sincèrement je ne le pense pas, mais cette question ne m’intéresse pas ». Quand je lui ai demandé pourquoi il le disait et l’enseignait, il a précisé : « Quand je dis que la Torah a été écrite par Moïse, je dis que je la reçois comme si elle m’avait été donnée par Moïse. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir qui a écrit la Torah, mais ce qu’elle dit ». La question de l’historicité du texte devient seconde par rapport à son interprétation.
Cette démarche qu’on pourrait qualifier de fondamentalisme est articulée avec ce qu’on a appelé la lecture infinie. C’est l’idée selon laquelle si la Bible est parole de Dieu, comme Dieu infini, la Bible est infinie. Chaque passage, chaque verset, chaque mot, chaque lettre même a une infinité de significations. Les différentes lectures d’un récit ne se contredisent pas, mais s’enrichissent mutuellement même quand elles sont contradictoires. Cette ouverture est favorisée par la pratique de l’hébreu qui est une langue qui, de par sa structure, ouvre à la multiplication des interprétations.
Retour à la maison
Dans la poursuite de mes lectures, j’ai découvert que les principes de lecture que j’ai puisés chez les rabbins étaient assez proches de ma propre tradition à travers ce que Calvin a appelé le témoignage intérieur du Saint-Esprit. Pour le réformateur, l’Esprit qui a inspiré le rédacteur des livres bibliques est à l’œuvre dans celui qui lit la Parole, et l’ouvre à des interprétations pour la rendre vivante dans son actualité. Il présuppose que le texte possède potentiellement une réserve de sens que l’Esprit éclaire en fonction de la situation de chacun. Merci au rabbinisme de m’avoir aidé à mieux comprendre la richesse de ma propre tradition !