Il n’est pas si courant de rencontrer un boucher-charcutier du cru protestant travaillant avec d’autres communautés religieuses dans une région de l’Alsace où l’ancrage luthérien est profond. Dans la famille Lorch, ils sont bouchers de père en fils depuis 1846. Jean-Louis a naturellement repris l’affaire de son père dans cette petite ville du pays de Hanau. Mais auparavant, il a tenu à faire ses armes ailleurs, « pour voir comment c’était ». Après son apprentissage à Saverne, il a travaillé à Barr, Obernai, Brumath et Strasbourg.

Le boucher, ainsi formé et expérimenté, s’est installé en 2000 et a fait prospérer l’activité. « J’ai commencé avec 15 salariés : aujourd’hui, ils sont 20. » Il faut être bien concentré pour mener un entretien avec Jean-Louis Lorch : les partenaires, les fournisseurs ou les clients vont et viennent, ça parle surtout alsacien, çà et là un shalom (bonjour) est lancé, avec un sourire malicieux, sans doute pour montrer qu’on connaît l’appétence du patron protestant pour la religion juive. Le téléphone sonne plusieurs fois.

« Je ne donne pas à manger ce que je ne voudrais pas manger »

Dans le bureau du chef d’entreprise, une salariée doit répondre et saisir des données sur ordinateur dans cet environnement de travail dense et fécond. « J’ai l’habitude », glisse-t-elle. Du coup, entre deux apartés du boucher, on a le temps d’apercevoir, accrochée sur un mur, une grande croix huguenote et sur la petite bibliothèque qui contient la Bible, le Coran et le Talmud, un mini candélabre à sept branches. Sans oublier, à l’entrée du bâtiment, une mesusa (objet de culte juif apposé au chambranle de l’entrée d’une demeure) et une main de Fatma (symbole pour se protéger du mauvais œil). C’est que depuis 20 ans, Jean-Louis Lorch fournit les communautés juives et musulmanes de la région.

Outre son magasin qu’il tient avec son épouse en plein centre-ville, il livre de nombreuses paroisses protestantes du coin et a plaisir de leur offrir, régulièrement, de la viande pour les fêtes et les rencontres. Il assure aussi la livraison auprès d’autres boucheries, des marchés, des maisons de retraite, des collèges et des EUL de Neuwiller-lès-Saverne, « les oïle » comme il dit (équipes unionistes luthériennes, mouvement de jeunes).  « Cela me fait plaisir », ne cesse-t-il de répéter. Et pourtant, la relève n’est pas assurée : son fils de 26 ans ne souhaite pas suivre la voie de son père et de ses aïeux. « Je le regrette un peu… » confie-t-il. Un autre de ses rêves serait d’aller en Afrique sur les pas d’Albert Schweitzer.