Le pontificat du pape François est en train de changer profondément le paysage œcuménique. Non pas qu’il soit véritablement un réformateur, dans le sens protestant du terme, mais tout simplement parce qu’il prend vraiment au sérieux ses interlocuteurs, sans faire une hiérarchie entre partenaires de première et deuxième division. En fait, depuis la fameuse déclaration vaticane « Dominus Iésus » du 6 août 2000, comme protestants nous avions la sensation d’être cantonnés à l’échelon le plus bas du « classement œcuménique » (du point de vue catholique) : en tête étaient les orthodoxes, suivis par les anglicans et – tout au fond – nous, les « Communautés ecclésiales » protestantes qui ne sommes « pas des Églises au sens propre » (Dominus Iesus, n° 17).
Reconnaître l’altérité
Tout cela est en train de changer avec François. Je voudrais donner trois exemples, à partir du point de vue de la minorité protestante en Italie. Le premier s’appuie sur la visite de Bergoglio à l’Église Vaudoise de Turin, en juin 2015. Ce n’était pas la première visite d’un pape à une église protestante en Italie, mais c’était la première visite officielle à une église protestante « autochtone » (ses prédécesseurs avaient visité l’Église luthérienne de Rome, de langue allemande, et en juillet 2014 François avait rencontré, en privé, le pasteur pentecôtiste Giovanni Traettino, qu’il avait connu à Buenos Aires). En plus, c’était la première visite à une Église issue de la « Première Réformation » du Moyen Âge (le mouvement vaudois est né de la prédication du lyonnais Pierre Valdo au 12e siècle).
Une visite historique, donc, qui a beaucoup changé les relations œcuméniques en Italie. Dans son discours aux Vaudois, j’ai été particulièrement frappé par la demande de pardon pour les persécutions du passé, mais aussi par la réflexion ecclésiologique de François, qui a reconnu l’existence d’une pluralité de formes d’organisation d’Églises, à partir du Nouveau Testament : « l’unité qui est fruit de l’Esprit Saint ne signifie pas uniformité », a-t-il dit.
Avancer ensemble
Le deuxième exemple est la visite à l’Église luthérienne de Rome (15 novembre 2015), où le pape a répondu avec une grande ouverture à une question sur l’hospitalité eucharistique posée par une femme luthérienne mariée avec un catholique, en faisant appel à la conscience. Une réponse beaucoup plus encourageante que celle du Synode des évêques sur la famille qui, peu de semaines auparavant, avait repoussé tout progrès dans le domaine du partage de la Cène pour les couples interconfessionnels.
Enfin, je voudrais mentionner les mots du pape lors de l’Angelus du dimanche 6 mars 2016. François venait de rencontrer une délégation vaudoise et méthodiste qui lui avait parlé du projet œcuménique des « couloirs humanitaires » pour les réfugiés de Syrie, organisés par la Fédération protestante d’Italie et la Communauté catholique da Sant’Egidio. Dans son discours dominical, il a salué ce projet comme « signe concret d’engagement pour la paix et la vie », en se réjouissant « parce que cette initiative est œcuménique ». Voilà donc un pape qui fait de l’œcuménisme à 180°, car il ne se borne pas aux seules questions théologiques et dogmatiques, mais met en premier plan l’engagement commun des chrétiens pour la paix, la justice et la sauvegarde de la création.