Par le colonialisme et les missions, ces divisions chrétiennes européennes sont devenues des divisions globales à la fin du XIXe siècle. Beaucoup de presbytériens en Corée ou au Brésil ont du mal aujourd’hui à comprendre pourquoi leurs Églises portent ce nom d’origine grec alors qu’elles ont leurs origines dans un courant protestant au nom latin : réformé.
L’origine du mouvement œcuménique
Cette contradiction entre le message d’amour et son témoignage marqué au contraire par la fragmentation et le conflit, le protestantisme européen et anglo-saxon et leurs sociétés missionnaires mondiales l’ont vécue comme une anomalie inacceptable et même menaçante vers la fin du XIXe siècle, à l’âge de la globalisation et de la déchristianisation sociale et culturelle. C’est l’origine du mouvement œcuménique moderne.
Ce qu’on appelle « mouvement œcuménique » incarne donc depuis le début du XXe siècle le rêve de rendre visible l’unité à laquelle croient toutes les Églises – souvent séparées les unes des autres pour des raisons humaines, trop humaines. Nourri de la mémoire du lien entre division et violence, renforcé par deux grandes guerres où les chrétiens se sont entretués, le mouvement œcuménique a pris la forme d’un pacte, que les Églises ont scellé entre elles en 1948, de se soutenir mutuellement ; de prier les unes pour les autres ; de chercher à surmonter leurs anciennes (et nouvelles…) divisions ; de faire de la mission ensemble ; de s’engager ensemble pour la justice et pour la paix. Le Conseil œcuménique des Églises (COE) est l’expression institutionnelle de ce pacte.
À l’époque où le monde chrétien avait son centre en Europe et aux États-Unis, le rêve de l’unité chrétienne mondiale semblait faisable. C’est beaucoup moins le cas aujourd’hui.
L’anomalie de la division
L’Europe occidentale continue son processus de déchristianisation institutionnelle, et la mémoire des divisions suivies de violence s’est affaiblie. Dans les régions du monde où le christianisme connaît une croissance exponentielle, les anciennes différences confessionnelles européennes, séparées de leurs origines historiques et culturelles, ont été presque normalisées et sont vécues par beaucoup aujourd’hui comme une espèce de biodiversité chrétienne, ce qui rend l’œcuménisme – compris comme quête d’unité visible qui engage les Églises au renouveau qui les rapprocherait – difficile à comprendre, sinon inutile.
Si la quête d’unité chrétienne connaît, pour plusieurs raisons, une époque de crise ou de transformation, cela ne veut pas dire qu’elle ait perdu son sens. Dans la mesure où nous croyons, selon le Nouveau Testament, qu’il y a un seul Seigneur qui est la tête d’un seul corps et auteur de la recréation et réunification de toute chose à venir, et que nous confessons avec les mots du Credo qu’il n’y a qu’une seule Église, nous ne pouvons que reconnaître que nous vivons toujours dans l’anomalie de la division – très visible quand nous célébrons la Cène – et que la conscience de la division inacceptable nous replace dans la quête de l’unité, que ce soit dans ses beaux jours ou dans ses jours moins beaux.
L’urgence œcuménique face à l’isolationnisme
On voit que ce qui est en jeu dans le mot un peu barbare d’« œcuménisme », c’est quelque chose d’une surprenante actualité, voire d’une surprenante urgence dans un monde qui retombe dans la tentation de l’isolationnisme, du va-t-en-guerre qui nous empêchera de répondre comme il faut à la crise environnementale qu’on appelle anthropocène : il s’agit de la voie contre-culturelle de la compassion pour le plus vulnérable comme chemin de justice, réconciliation et paix. Là réside aussi toute l’actualité du thème de la prochaine assemblée du COE : « L’amour du Christ mène le monde à la réconciliation et à l’unité ».