Les plus âgés se souviennent encore des classes réparties de l’entre-deux-guerres, ces séparations confessionnelles que certains établissements favorisaient pour faciliter l’organisation des cours de religion.

On se comprenait

Des classes plutôt catholiques, d’autres plutôt protestantes et juives, cela choquerait les consciences d’aujourd’hui qui n’accepteraient plus ces distinctions discriminatoires. Pierre, vieux Sélestadien de souche buriné au travail des champs, sourit, un brin nostalgique : « à l’époque, on ne se posait pas la question, c’était simple. Mon voisin de banc était juif, moi protestant, on allait chacun de son côté, lui avec le rabbin, moi avec le pasteur et on se racontait parfois nos cours. Ça a été important, pendant l’autre guerre et après : on avait des liens, on était différents et on le savait, on se comprenait un peu ». Sur ses rapports avec les catholiques, Pierre n’est pas aussi prolixe. Il en a retenu des histoires de cathédrales et de morale, mais « on ne se parlait pas de ça, ou presque ; c’étaient les autres classes ».

La morale ne se discute pas

Pierre a vu ses enfants et petits-enfants suivre à leur tour les cours de religion selon les règles concordataires en Alsace-Moselle. Mais les réalités avaient changé. On y parlait un peu de toutes les religions, les professeurs ont privilégié un enseignement interconfessionnel. « C’est intéressant que les religions discutent ensemble, constate l’ancien agriculteur de Sélestat, surtout qu’il y en a beaucoup plus maintenant avec les musulmans, les bouddhistes ou toute cette variété de protestants. Ça ouvre l’esprit et ça apporte un peu de paix dans les rapports humains entre les jeunes ». Puis les classes de morale se sont multipliées avec le temps pour accueillir les enfants de familles non croyantes et Pierre se sent quand même nostalgique de ses cours spécifiques de religion, centrés sur le travail biblique et les principes protestants. Il s’offusque un peu de cet essor des cours de morale, « parce que la morale, ça ne se discute pas. Ce n’est pas comme l’existence de Dieu ou le sexe des anges, la morale, ça s’impose, il n’y a plus de débat ». Comment se reconnaître différents lorsqu’on ne connaît plus l’autre, juif ou protestant, dans la réalité du partage d’un banc ?

Les normes forcent à dialoguer

Avec les cours de morale en remplacement de cours de religion, d’autres difficultés compliquent la situation. D’une part le nombre décroissant des intervenants pour l’enseignement religieux risque de ne plus garantir partout des interventions de qualité, d’autre part des règles d’effectifs ont été dictées par l’État pour prendre en charge le fait religieux et spirituel dans les trois départements concordataires. Car l’État impose un minimum d’élèves par classe. Nombre de lieux d’enseignement ont donc dû s’adapter ou fermer du simple fait de l’évolution des normes. Pour Pierre qui a vu son territoire se modifier au fil des décennies, c’est un abandon du dialogue.

Conscients que l’inculture est un danger, les pouvoirs publics tentent de mettre en place un enseignement laïc du fait religieux. Conscientes que la culture ne suffit pas à donner accès au dialogue, les Églises protestantes et catholiques réfléchissent à la mise en place plus systématique de programmes de culture interreligieuse qui intègrent l’accompagnement de questions existentielles ou éthiques. La pénurie d’acteurs et le renforcement des normes pourraient finalement jouer en faveur d’un dialogue interreligieux avec le judaïsme, le monde musulman et le bouddhisme, ce qui fait sourire malicieusement l’ancien agriculteur.