On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons pas où on l’a mis ! » (Jean 20.2)

Ces mots de Marie- Madeleine dans le récit de la découverte du tombeau vide selon l’évangile de Jean font écho au « il n’est pas ici » adressé aux femmes par des messagers dans les récits parallèles des autres évangiles. « Où », « ici » : l’événement se déploie en des termes spatiaux. Il s’agit d’un lieu où ne se trouve pas ce qui devrait s’y trouver, d’un espace vide de ce dont on l’imaginait plein. Les repères sont chamboulés, on en est désorienté, inca- pable d’habiter cet espace modifié. Ce qui manque est comme une balise disparue sur laquelle on ne peut plus s’appuyer.

L’expérience de foi de la Résurrection naît de la confrontation à cet « enlèvement ». Ce terme revient d’ailleurs plusieurs fois dans le récit, lié au regard que porte Marie-Madeleine sur la situation : elle se plonge dans ce vide et laisse s’exprimer les questionnements et bouleversements qu’il opère en elle. Et c’est dans cette plongée même qu’il va lui être donné de voir qu’à travers le vide de ce tombeau c’est une vie autre qui naît. Ce qui est enlevé est ce qui en ce monde fait exister cette mort et son pouvoir : un lieu pour s’y confronter, s’y lamenter. Le tombeau est toujours là, mais il est vidé de son caractère mortifère pour celles et ceux qui y viennent et devient même l’espace d’où résonne l’annonce d’une vie où le lien de communion « en Dieu » est indéfectible : « Va vers mes frères et dis-leur que je monte vers celui qui est mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu. » Malgré la mort, malgré le tombeau, le péché – c’est-à-dire ce qui peut éloigner de Dieu et faire rompre ce lien – est aboli, épuisé. S’accomplit ici ce qu’annonçait Jean-Baptiste en voyant Jésus venir à lui dès le début de l’évangile : « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde. » (Jean 1.29)

C’est un monde nouveau qui advient avec cet enlèvement, bien étrange et bouleversant pour celles et ceux qui en font l’expérience à la suite de Marie-Madeleine, et pour qui se pose sans cesse la question : comment y vivre ? Comment habiter ce monde où le pouvoir du péché et de la mort n’est plus ? Comment s’y repérer, s’y orienter, s’y mouvoir ? Quelles sont les possibilités qui s’ouvrent au-delà de ce qui déchire et blesse, en passant à travers les déchirures mêmes, les blessures mêmes : à travers les tombeaux sans cesse redécouverts vides ? Quelles sont les relations qui vont pouvoir s’établir au-delà de ce qui est mortifère, libérées de toutes culpabilités, de toutes rancunes et de tout faux-semblant, sans les impasses et de toutes les souffrances ? Ce monde nouveau est une terre inconnue, une terre étrangère, car s’y ouvrent des possibles, toujours à nouveau, toujours de manières nouvelles, toujours au-delà de ce qui pouvait jusque-là sembler faire partie de l’espace des possibles. Une terre à redécouvrir sans cesse.

Au cœur même de ce qui relève de la puissance de la mort à l’œuvre en ce monde, l’enlèvement du matin de Pâques annonce qu’advient un monde nouveau à habiter. Il y a bien de quoi être désorienté mais, après tout, n’est-ce pas là la condition de celles et ceux qui se découvrent et se redécouvrent, malgré tout, vivants ? En chemin de carême sous l’horizon du matin de Pâques.

Par Emmanuel Rouanet, membre du service biblique régional Région parisienne réformée