Universitaire et enseignante dans une institution laïque, j’essaie de partager mon expérience éprouvée de la curiosité intellectuelle propre à la recherche académique à des étudiants de toute origine, qu’ils soient – ou non – animés par une croyance spirituelle ou religieuse. Mère de famille, j’ai tenté de transmettre à mes enfants une certaine approche de la foi tout en prenant en considération leur propre cheminement, parfois sinueux, mais que je m’oblige à respecter en ce qu’il est éminemment personnel.

Professionnellement laïque et personnellement croyante

Protestante par filiation, mais aussi par choix, mon engagement religieux guide évidemment en partie mon éthique de vie et celle que je développe dans mon travail. La difficulté supplémentaire, dans mon cas, est que l’objet de mes recherches est aussi une exigence légale qui m’est imposée en raison du statut laïque de l’enseignement supérieur public auquel j’appartiens.

La question peut donc légitimement se poser de savoir comment je peux être professionnellement laïque tout en étant personnellement croyante, et surtout comment je peux travailler sur les différentes formes et les évolutions prises successivement par le principe de laïcité dans l’histoire sans être partiellement aveuglée par un biais particulier induit par ma foi.

Une idée reçue, assez communément partagée en France, voudrait en effet que seul un athée convaincu, en raison de son détachement vis-à-vis de la chose religieuse, pourrait être réellement objectif et véritablement légitime sur ces sujets.

D’aucuns pourraient donc trouver cette posture qui est la mienne inconfortable, voire contradictoire. Elle est pour moi, bien au contraire, à la fois exigeante et structurante. Elle m’oblige à ne jamais tenir mes propres intuitions pour forcément acquises et à pratiquer sans relâche le doute raisonnable et l’ouverture à la contradiction. Cette distanciation vis-à-vis de mon objet d’étude, je ne cesse d’essayer de la pratiquer comme une sorte d’hygiène intellectuelle combinant l’honnêteté, l’introspection et la rigueur professionnelle.

Des convictions qui font vivre le débat démocratique

Mais dois-je alors faire entièrement taire ce en quoi je crois et m’abstenir de tout plaidoyer dans ma pratique professionnelle afin de respecter à la lettre ce qui est généralement exigé d’un fonctionnaire de l’État, à savoir le devoir de réserve ?

Je ne le crois pas. D’une part, le principe de la liberté académique me permet de déroger quelque peu à une posture totalement neutralisée. D’autre part, la laïcité est un principe de liberté, celle de la conscience qui est accordée à chaque individu sans exception. De plus, en permettant d’exprimer librement sa foi tant en privé qu’au sein de la société, elle autorise l’expression de toutes les convictions pourvu qu’elles respectent les limites inhérentes à l’ordre public.

Ces libertés sont garanties par la loi à la fois comme des droits humains et comme des libertés fondamentales assurées à tous, professeurs inclus. Si je reste persuadée que ma parole a aussi du sens, et que j’ai le droit de l’exprimer librement, je dirais même que le plaidoyer est un devoir qui s’impose à moi. La tâche qui m’est allouée est donc de partager mes convictions et mon expérience pour à la fois nourrir et faire vivre un débat démocratique toujours respectueux de la parole de l’autre.