Des jeunes de 15 à 18 ans fuyant la guerre, le fanatisme ou la faim continuent d’arriver à Marseille. Sans ressources, isolés, ils se retrouvent souvent à la rue. Depuis des années, des associations citoyennes et des Eglises alertent et cherchent des solutions. Des personnes les accueillent, souvent épaulées par les Églises qui refusent cependant de se substituer aux pouvoirs publics.

Suite à leur interpellation, le Département des Bouches-du-Rhône a créé le statut d’ « accueillant bénévole » qui permet d’accueillir chez soi, en toute légalité, un jeune mineur étranger avec le soutien d’une association missionnée. La personne ou la famille assurent le gîte et le couvert, et offrent au jeune un cadre relationnel propice à son épanouissement. Le jeune est également accompagné par un éducateur référent, qui est aussi l’interlocuteur de l’accueillant. L’association assure le suivi administratif, médical et éducatif et prend en charge les frais liés à l’éducation (scolarité, transport, habillement…). L’accueillant reçoit une indemnité d’environ 400 € par mois.

Ce dispositif innovant, lancé juste avant la crise de la Covid, n’a malheureusement pas bénéficié d’une forte mobilisation. Seule une dizaine de familles s’est sont lancées dans l’aventure. La faute sans doute aux confinements et restrictions sanitaires qui ont fermé des portes ; certainement aussi, à un climat politique délétère. La campagne présidentielle nous montre en effet que notre société reste crispée sur les questions identitaires. L’immigré, l’étranger est soupçonné de fragiliser notre identité, de mettre en danger la cohérence de notre nation, de ne pas respecter le pacte qui cimente notre société.

Au dessus de quelle loi ?

Vous avez peut-être été frappés, comme moi, par la vague d’indignation médiatique qui s’est empressée à dénoncer ces « musulmans » (parfois aussi ces « catholiques ») qui mettaient leur religion au-dessus des lois de la République. Je me souviens pourtant d’un temps où ceux qui résistaient à d’autres lois au nom de leur Foi (nazisme, colonialisme, avortement, peine de mort…) étaient vus en héros. L’époque n’est plus la même, certes. Mais nous restons incités à exercer une vigilance critique à l’égard des pouvoirs – particulièrement en temps de crise, où la société est tentée de désigner un bouc émissaire pour expliquer la crise et la résoudre.

La figure de l’étranger nous oblige pourtant à poser la question de notre propre identité, qu’on trouve également dans la Bible : « Et moi, d’où viens-je ? ». Et Guilhen Antier, professeur de théologie, de nous ramener notamment au livre du Lévitique : « Quand un étranger viendra s’installer chez vous, dans votre pays, ne profitez pas de lui. Au contraire, vous agirez avec lui comme avec quelqu’un de votre peuple. Vous devez l’aimer comme vous-mêmes. En effet, vous aussi, vous avez été des étrangers en Égypte. Le SEIGNEUR votre Dieu, c’est moi. » (Lv. 19,33-34). L’immigré, qui vient d’ailleurs, reçoit ici la même dignité et le même statut que le natif. Il ne peut faire l’objet d’un mépris, ni a fortiori être exploité, c’est-à-dire considéré comme un citoyen de seconde zone. Une égalité de principe est posée. L’étranger a beau être étranger, il est mon frère en humanité, mon prochain.

Etranger, moi-même !

Plus intéressant encore : si l’étranger est comme moi, nous rappelle Guihen Antier, alors je suis moi-même un étranger ! Les natifs eux aussi ont été, à un moment de leur histoire, des immigrés en terre étrangère. C’était vrai pour les israélites lors de l’esclavage en Egypte ou de l’exil à Babylone. Cela était également vrai des protestants français après la révocation de l’Edit de Nantes. Que nous soyons nés ici n’empêche pas que demeure, au fond de nous-mêmes, une part d’étranger. Comme dit un slogan repris par la Cimade : « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d’immigrés ! ». C’est ce qu’exprime également l’apôtre Pierre dans sa première lettre, lorsqu’il appelle ses amis : « gens de passage, étrangers sur cette terre » (IP2,11).

« D’où viens-je », « qui suis-je » ? La réponse à ces questions ne figure pas sur une carte d’identité. « Etrangers et voyageurs » sur la terre, telle est notre manière de vivre notre identité de chrétiens. Telle doit aussi être notre vocation collective et communautaire. Appartenir à l’Eglise, c’est être en voyage avec tous les frères et sœurs qui nous sont donnés, quels qu’ils soient, d’où qu’ils viennent. Car appartenir à l’Eglise, c’est appartenir à un peuple d’étrangers. Au fait, savez-vous quel mot grec Pierre utilise dans ce verset et que nos Bibles traduisent par « étranger » ? « Paroikos ». En français, il a donné… « paroissien ».

Pierre-Olivier Dolino est pasteur et directeur de la Fraternité de la Belle de mai et membre du Comité national de la Mission populaire.

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