Je lis dans La Croix Hebdo de ce mois de décembre 2020 l’émouvante histoire de Bintou, tout juste 21 ans, qui a déjà vécu bien plus d’errance et de souffrance que moi, qui en aie 70… Bintou est arrivée en France comme elle a pu, depuis le Sénégal où son mari a été assassiné et d’où elle s’est enfuie, étant elle même menacée. Statut de réfugiée en poche, elle tourne le dos à son pays, vit en France avec détermination mais dans une grande précarité, recueillie, aidée par quelques uns, injuriée, violentée et même violée par d’autres. Dans ce marasme, un enfant lui est conçu, qu’elle accepte et accueille magnifiquement. Bintou est musulmane, fervente. « C’est l’enfant de Dieu », dit-elle. Je suis sidérée, bouleversée de la voir transcender ainsi la violence subie en force de vie. Ce n’est pas l’enfant du malheur, c’est « l’enfant de Dieu »… Mais pas « de place à l’hostellerie » pour elle et son bébé, comme je le lisais quand j’étais petite, émue, le soir de Noël, dans la Bible de mes parents. Elle erre d’hôtel en foyer, son petit garçon sur les bras ou en crèche. Une photo prise par la journaliste nous la montre majestueuse, assise sur le lit de sa chambre d’hôtel où le 115 l’a logée, ou faisant la queue à l’épicerie solidaire du quartier. Elle rêve peut être à l’avenir de son fils, l’enfant de Dieu…

L’éternelle violence faite aux femmes

L’histoire de Bintou, la musulmane ne peut que m’évoquer celle mythique, mystique, de Marie la juive. Et une petite lumière s’allume dans mon cerveau lent à la détente : mais bien sûr, je comprends, enfin ! Cette mystérieuse conception de Marie, racontée dans la Bible : c’est ça, violée, elle aussi ! L’éternelle violence faite aux femmes, démultipliée quand les temps sont troublés : guerre, instabilités politiques, ou asservissement d’un peuple par un autre ce qui est le cas pour Marie, pour Bintou. Leur dénuement les a livrées aux appétits pervers d’hommes soumis à leurs pulsions, excités par l’espoir de plaisirs faciles et de jouissance, celle procurée par l’exercice de la domination. Personne n’a pu, n’a osé le dire, ni hier, ni aujourd’hui. Personne n’a pu reconnaître, assumer, dénoncer cette violence faite au plus petits, et donc aux femmes, pourtant si fortes sous l’apparente faiblesse où les assigne leur environnement. Personne ne veut voir cette partie sombre et violente que chacun porte en soi, allant jusqu’à évoquer une « immaculée conception » pour Marie, que je n’ai jamais pu nommer « Vierge Marie » tant cela m’a toujours paru trouble et absurde.

Aujourd’hui, Bintou, même s’il lui faut sûrement du courage, peut dire que son petit est né d’un viol. Pour Marie, il y a 2000 ans, impossible ! Une jeune fille « coupée » comme je l’ai entendu dire par des femmes du Maghreb pour nommer la disparition de la virginité, n’a aucun avenir. « Coupée » dans son corps et dans ses liens. Elle ne peut trouver aucun abri. Ni chez ses parents, ni dans son village, ni dans son pays. Injures et coups pouvant aller jusqu’à la lapidation l’attendent.

Mais comme Bintou, la musulmane, Marie, la juive, aime la vie. Elle aime la vie, son fiancé et le Dieu de son peuple. Elle ne veut pas mourir, ni se laisser engloutir par la la honte et l’humiliation où on voudrait la maintenir pour masquer la violence subie. Elle est innocente. Elle pense à l’enfant à l’abri de son ventre. Elle l’aime déjà. Comme Bintou, avec l’énergie de la jeunesse et celle souvent donnée aux porteuses de vie, elle accueille ce bébé comme un cadeau de Dieu, et aimerait qu’il soit accueilli par tous… Comment faire ?

Force de vie

Marie comme chacune, chacun de son peuple connaît la promesse faite d’un Messie, venant sauver le monde. Promesse transmise de génération en génération jusqu’à elle. Un jour, un Messie, un Sauveur… Alors, saisie par une force qui la dépasse et la tire vers la lumière, avec la complicité et le soutien de sa cousine Elisabeth, solidarité féminine oblige, de Joseph, que je pense horrifié et sidéré par ce que d’autres ont infligé à sa fiancé qu’il aime tendrement, cette histoire de messie, Marie va la reprendre, la continuer et même, l’accomplir. Et c’est l’histoire de la naissance de Jésus que Noël raconte.

Le miracle c’est que quelque soit la manière dont ce récit est conté, avec ou sans l’ange Gabriel, fils de Dieu ou de Marie, Jésus est né. Des historiens l’attestent et son histoire est arrivée jusqu’à mes oreilles. Plus miraculeux encore, Jésus n’a pas laissé d’écrits, mais ses paroles transmises de génération en génération, comme elles l’ont fait pour Marie me consolent et m’éclairent encore aujourd’hui. La force de vie dont Marie et Bintou témoignent, aussi.

Peut-être en sera-t-il de même pour les paroles que Youssouf enfant de chair et d’os de Dieu et de Bintou répandra sur le monde lorsqu’il sera grand ?

Brigitte Brunel est sympathisante la Mission populaire évangélique. Enfant, elle a vécu jusqu’à ses quinze ans à la Fraternité d’Arcueuil puis de Rouen où son père Jacques Brunel était pasteur de la Mission populaire.