Il suffisait de suivre l’évolution des taux d’incidence, depuis plusieurs semaines, pour voir que les mesures prises ne suffisaient pas à endiguer la marche en avant de l’épidémie. Il y a eu l’un ou l’autre succès local temporaire, mais ils ont tous fini par être annulés les uns après les autres. Il y a, au reste, des mystères : pourquoi le département de la Loire est-il devenu l’épicentre de cette deuxième vague ? Il y a, là-bas, deux fois plus de cas que dans Paris intramuros ! Ces dernières semaines c’est en Ile-de-France que le taux de reproduction est le plus bas (mais il reste supérieur à 1) : autre mystère. Les taux d’incidence de la Lozère, de l’Aveyron et du Tarn, sont au niveau de ceux de la grande couronne parisienne et même nettement plus élevés que celui de la Seine-et-Marne. Comprenne qui pourra !

On pourra sans doute reprocher ceci ou cela au gouvernement, mais il faut quand même dire que c’est le pouvoir en place qui a, le premier, alerté sur la reprise de l’épidémie et qu’il a émis ses messages, semaine après semaine, au milieu d’auditeurs plutôt sceptiques. Par ailleurs, aucun pays d’Europe ne semble, cette fois-ci, tirer tellement mieux son épingle du jeu qu’un autre. Le taux d’incidence, en Suisse (un des pays qui avait bien traversé la première vague) est, aujourd’hui, de 1480 pour 100.000, supérieur à celui de la Belgique et sans commune mesure avec le taux français (440).

C’est, une fois de plus, notre ignorance collective qui frappe : il y a beaucoup de choses que l’on ne sait pas encore. En attendant … on retourne chez nous.

Je comprends assez bien la colère des petits commerces : ce ne sont probablement pas des lieux de contamination majeure. En fait, ils sont les victimes collatérales d’une exigence globale : il faut limiter les motifs de sortie de tout un chacun.

La deuxième fois n’est pas identique à la première

J’y retourne donc, mais cela ne me fait pas le même choc que la première fois. Il faut dire, d’abord, que les restrictions progressives se sont étalées sur une durée plus longue. Et puis, je l’ai dit fin août, il y a toutes sortes d’activités que je n’ai pas reprises depuis le printemps : visiter des expositions masqué ne me dit rien. J’ai considérablement réduit mes déplacements à Paris où tout est compliqué par les gestes barrières divers. Dans la vie d’église, nous n’avons pas repris les agapes qui sont sources de bien trop de risques. De fait, notre vie communautaire est restée en partie en sommeil. Donc le choc a été moins brutal qu’en mars. Et, l’un dans l’autre, la généralisation des masques a aussi permis plus de souplesse dans certaines activités maintenues (au moins pour le moment).

Bref, ce n’est pas la sidération du printemps dernier. Mais la lassitude est là, évidemment.

Cela dit, l’expérience de la première fois m’est utile. Je me suis rendu compte, après coup, des moments forts que j’ai vécus pendant cette parenthèse forcée. Et tout cela me conduit à aborder cette nouvelle période avec plus de philosophie.

Bien sûr, j’ai de nouveau des projets qui sont devenus impossibles d’un seul coup. J’avais pris rendez-vous chez le coiffeur le vendredi 30 octobre : mauvaise pioche ! Je dois annuler plusieurs déplacements importants. Tout cela est énervant.

Mais, au bout du compte, il y a quelque chose de profond qui refait surface : c’est la perception de ma fragilité fondamentale. Pour nous autres, occidentaux, c’est ce que l’on peut imaginer de pire. Pour moi, qui suis un amateur de la littérature japonaise, je vois cela différemment. Au Japon c’est la saison de la lune d’automne et l’on médite sur tout ce qui est en train de disparaître. Il y a, là dedans, de la nostalgie, mais aussi une émotion profonde en repensant à la valeur de tout ce qui est fragile et transitoire. Est-ce là quelque chose qui est propre au bouddhisme ? Pas du tout. On trouve des évocations tout à fait semblables dans la Bible et c’est le développement de la civilisation occidentale qui l’a occulté.
Je pense à l’Ecclésiaste, bien sûr, mais c’est presque trop facile.
Je préfère citer un extrait du Psaume 39 :
« Seigneur, fais-moi connaître ma fin et quelle est la mesure de mes jours, que je sache combien je suis éphémère !
Voici, tu as donné à mes jours une largeur de main, et ma durée n’est presque rien devant toi.
Oui, tout homme solide n’est que du vent !
Oui, l’homme va et vient comme un reflet ! Oui, son agitation, c’est du vent !
Il entasse, et ne sait qui ramassera » (Ps 39.5-7).

Ce n’est pas là, forcément, un discours déprimé et démobilisateur (une fois encore, il faut sortir de nos préjugés occidentaux). C’est une autre manière d’aborder la vie et d’y demeurer.