« Il existe un décalage entre le discours des médias et les statistiques », prévient Sébastien Dupont, docteur en psychologie, thérapeute familial et chercheur associé à l’Université de Strasbourg. Contrairement à certaines idées reçues, la norme reste la famille traditionnelle avec deux adultes, homme et femme, et leurs enfants : ce type de ménage représente 70,4 % des familles. En France, trois enfants sur quatre vivent avec leurs deux parents. Les familles monoparentales recouvrent 20,3 % des ménages ; les familles recomposées 9,3 % et les foyers homoparentaux 0,2 %. L’idéal que représente la famille traditionnelle demeure lui aussi très fort, puisque 77 % des Français affirment préférer « construire une seule famille dans leur vie en restant avec la même personne »2.  Le chercheur relève cependant cette réalité « paradoxale mais logique : plus on idéalise la famille, plus on encourt le risque d’être déçu et de se séparer ». C’est le cas de près d’un couple parental sur trois, à la ville un peu plus qu’à la campagne.

Parmi les raisons qui ont conduit à la métamorphose de la vie conjugale et familiale, Sébastien Dupont met en avant celles qui sont d’ordre démographique : « Il y a encore un siècle, les veuvages et les remariages étaient courants ; voir des enfants mourir faisait partie de la vie (en 1900, 1 enfant sur 6 décédait avant l’âge de 1 an ; 4 sur 1000 aujourd’hui). Le mariage n’était pas tant synonyme d’amour que d’institution permettant de faire tourner la société. Actuellement, la majorité des familles a entre 1 et 2 enfants. Cela change le rapport à l’enfant, à soi, à la vie et à la mort. Le cœur de la famille contemporaine est désormais l’amour et ses corolaires, à savoir la fragilité du lien et le désamour. » Des réalités d’autant plus complexes qu’avec l’allongement de l’espérance de vie, la durée de vie moyenne d’une union est passée de 15 à 45 ans entre 1900 et 2017.

La recomposition des rôles entre le père et la mère est un autre élément majeur dans l’évolution de la famille contemporaine. Tandis qu’au Moyen-Âge, tous deux vivaient et travaillaient au contact de leurs enfants, le XIXe siècle et la Révolution industrielle ont entraîné une division radicale des rôles. Le schéma où le père « travaille » et la mère s’occupe des tâches domestiques et de l’éducation des enfants a prévalu jusque dans les années soixante mais n’a plus cours. « Redonner une place aux pères dans la famille » est l’un des enjeux du XXIe siècle, estime Sébastien Dupont.

Et les Églises luthéro-réformées dans tout ça ?

La baisse du nombre de mariages religieux est la réalité la plus directement visible. Isabelle Grellier-Bonnal, professeure de théologie pratique à la Faculté de Strasbourg, plaide pour le développement d’une « théologie du couple » qui fasse l’éloge d’une « fidélité vivante, où le conflit a sa place ». L’accompagnement des couples « qui n’ont pas pu faire autrement que de rompre » et des familles en difficultés est un autre axe important selon elle : « La bénédiction de Dieu ne tombe pas à l’eau ; même en cas d’échec, sa promesse de vie reste pour chacun ». Concernant la bénédiction des unions homosexuelles, il lui semble nécessaire de souligner que toute bénédiction de mariage « concerne les personnes, plus que leur lien qu’il ne faut pas sacraliser ». Elle estime également judicieux de valoriser la filiation et de réfléchir au statut de beau-parent, car « des liens nouveaux peuvent se nouer, qui ne sont pas au détriment des liens initiaux. »