Quel rapport entre une lettre anonyme et le roman « Entre deux mondes » de Olivier Norek ? Une histoire de migration bien sûr ! Ou plus exactement des histoires de migrants, d’hommes et de femmes de chair et de sang, d’hommes et de femmes comme vous, comme moi, avec leurs histoires singulières et douloureuses, leur parcours chaotique, leurs larmes, leurs espoirs, leurs rêves…
C’est en rentrant de vacances, début septembre que je découvre avec stupeur, dans le tas de courrier accumulé durant l’été une lettre anonyme adressée à la fraternité de Trappes, lettre tout de même signée « Un protestant œcuménique ». Cette lettre, qui cite « valeurs actuelles », nous reproche d’abriter au sein de la fraternité de dangereux islamistes (femmes migrantes voilées notamment) et d’entretenir voire d’encourager des migrations de terroristes sur le territoire français. Ce « protestant œcuménique » nous reproche d’accueillir des femmes et des hommes qui ont fui leur pays et tentent de se reconstruire en France, des femmes et des hommes qui viennent à la Frat pour apprendre le français, se confier, trouver du réconfort, de l’aide dans leur difficile parcours. Je ne peux, hélas, répondre à cette personne, faute d’adresse, de nom ou même de localisation géographique (même si j’ai une vague idée à vrai dire), j’ai cependant envie de conseiller à cet anonyme corbeau un livre, qui, peut-être pourrait le faire changer d’avis sur le destin de ceux que nous accueillons.
« Entre deux mondes »
« Entre deux mondes » de Olivier Norek est censé être un roman policier mais j’avoue que dans ce roman, l’intrigue policière disparait bien vite au profit d’une histoire humaine, terrible et bouleversante. Le roman se déroule dans la jungle de Calais et raconte le quotidien de ce microcosme, de cette micro-société où les clans se reconstituent, les solidarités se nouent, les histoires s’entremêlent. L’auteur a passé du temps dans cette jungle et rencontré des migrants qui lui ont confié leur histoire. Ce roman s’inspire en partie de cette matière humaine et Olivier Norek la raconte avec un immense talent. Ce roman est bouleversant à bien des égards et la lecture ne laisse pas totalement indemne. Peut-être notre anonyme corbeau se laissera t’il émouvoir par la description que l’un des migrants fait du « kit de survie » indispensable pour passer outre-manche : une lame de rasoir pour trancher la bâche du camion à l’arrivée en Angleterre, une couverture de survie pour déjouer les caméras thermiques, un sac poubelle à enfiler sur la tête contre les détecteurs de gaz carbonique et un préservatif pour faire ses besoins. Mais dans le confort douillet de son salon « grand siècle », ce monsieur peinera peut-être à imaginer cette réalité bien loin de son confort paisible et étriqué. Sommes-nous chrétiens, « protestant œcuménique » par tradition, par filiation, par principe ? Ou sommes-nous chrétiens « protestant œcuménique » par conviction et pour faire vivre des paroles des Evangiles d’une immense exigence ?
Aime ton prochain comme toi-même …
Valérie Rodriguez est équipière-directrice de la Miss’ Pop’ de Trappes (78), Fraternité de la Mission populaire évangélique.