Ils avaient traversé les mers, ils avaient franchi des déserts et des frontières. Ils avaient marché, peiné, sué, grelotté. Mille fois ils avaient cru mourir, asphyxiés dans des camions où on les avait entassés, perdus dans la montagne sous la neige, poursuivis par des policiers et leurs chiens. Ils avaient cru mourir de soif sous la chaleur ou de faim. Ou noyés ! Ils avaient subi les cris, les coups, les humiliations, la peur. Ils en avaient vu mourir plus d’un, plus d’une, parce que ces ils étaient aussi des elles. Et pour elles, qui partaient parfois un enfant dans les bras ou endormi sur le dos, pour elles les conditions étaient souvent pires. Voir mourir leur petit, le perdre dans des bousculades qui immanquablement se produisaient, ou l’entendre pleurer pendant des heures sans pouvoir le soulager, le nourrir, l’apaiser, le rassurer. Et pour elles la promiscuité étaient aussi synonyme d’abus, de gestes humiliants de la part de certains hommes, de menaces, d’intimidations, de viols même parfois. Malgré cela, tous, ils devaient avancer ! Il fallait avancer, encore, toujours, ne pas s’arrêter, ne pas se retourner, ne jamais reculer, ne pas douter. Ne pas douter qu’au bout de tout cela, au bout du chemin il y aurait la terre tant espérée, la liberté enfin, un pays qui les accueillerait et où la vie serait possible, bonne, heureuse, paisible. L’Eldorado ! C’est cela qui leur donnait le courage et la force de tenir.

Ni eux, ni elles n’avaient imaginé qu’au bout de ces épreuves d’autres les attendaient. D’autres épreuves, d’autres attentes, d’autres humiliations, d’autres angoisses. Là où ils espéraient être accueillis, ils, elles, trouvaient souvent la méfiance, la suspicion. Quand ce n’était pas l’hostilité. Là où ils espéraient la sécurité c’est la précarité qui les rejoignait. Et puis la faim de nouveau et la rue aussi où ils devaient dormir faute d’hébergement. Là où ils comptaient pouvoir se poser, se reposer et commencer à construire une vie nouvelle ils retrouvaient le froid, la pluie, la peur, l’attente, l’incertitude. A nouveau des jours d’épreuve, de patience.

Plus isolés que jamais

Et puis l’épidémie est arrivée qui a submergé le monde. Les gens se sont terrés chez eux. Les rues se sont vidées. Beaucoup des bureaux auxquels ils avaient à faire ont été fermés. Pour cause de santé publique ! Pour des jours, des semaine ! Eux sont restés dehors, à la rue parfois. Plus isolés que jamais. Ceux qui tentaient de les aider, qui leur apportaient le réconfort de leur attention, sont devenus plus rares. Les associations essayaient bien de maintenir un minimum de présence mais eux étaient seuls. Les bancs sur lesquels ils pouvaient jusqu’alors s’asseoir pour se reposer et laisser passer le temps ont été interdits. Les parcs fermés. Ils ne pouvaient quand même pas marcher toute la journée. Que leur restait-il ? Être malade eux aussi pour enfin être pris en charge, être mis à l’abri, pouvoir s’étendre, se laver, manger, se reposer et dormir.

Combien sont ils à errer ainsi dans nos villes avec parfois des enfants petits ? Combien sont ils à ne pas pouvoir dormir en sécurité, avec un minimum d’intimité ? Le CASP1 évoque plus de 400 personnes, dont des femmes et des enfants, qui, toute l’année, ont dormi dehors. Les associations, la FAS2, la FAP3, réclament l’ouverture de places d’hébergement pour les accueillir. Fin juin, la France vient d’être condamnée par la CEDH4 pour « traitement inhumain » de demandeurs d’asile laissés à la rue. Pourtant lors de la présidentielle de 2017 la promesse était faite, une fois de plus, que ce problème serait résolu dans l’année! L’Eldorado n’est pas à la hauteur des espoirs qu’il génère! 5

1 Centre d’Action sociale protestant à Paris et en Ile de France

2 Fédération des acteurs de la solidarité, regroupe des centaines d’associations d’insertion dans toute la France

3 Fondation Abbé Pierre, publie chaque année le 1er février un rapport sur le mal logement

4 Cour européenne des Droits de l’homme

5 A lire absolument, sur la plage ou ailleurs, « ELDORADO » de Laurent GAUDÉ – Actes sud