Elisabeth Borne, enfin ! Sa nomination au poste de Premier ministre était-elle attendue ? Quatre femmes, depuis trois semaines, occupaient le devant de la scène, en alternance, ou parfois deux par deux. Les journalistes et les commentateurs ont soupesé leurs avantages et leurs inconvénients, forces et faiblesses politiques, en cochant souvent des cases imaginaires – un trait d’époque : à force de faire remplir par les élèves, les consommateurs et les DRH, des questionnaires en tous genres, peut-être estime-t-on que le recrutement des politiques doit obéir à ce procédé… Lundi matin, le nom de Valérie Létard s’est ajouté à la liste – et la vice-présidente du Sénat s’est trouvée pour plusieurs hivers habillée par des qualificatifs épouvantables que l’on n’utiliserait pas pour définir un homme : autoritaire, antipathique, on en passe.

Le temps de la décision

Autant dire que la désignation d’Elisabeth Borne ne surprend qu’à moitié. Le président de la République a pris son temps, probablement pour réduire  la durée de la campagne des élections législatives : à défaut de dissoudre l’Assemblée nationale, il a laissé le gouvernement sortant se charger des affaires courantes et retardé l’entrée en lice de la personne à qui reviendra le soin de conduire la majorité sur le chemin de la victoire (…ou de la cohabitation !). Mais il a choisi la continuité.

Pour autant, Elisabeth Borne dirigera-t-elle les troupes macronistes ? Rien n’est moins sûr.

« Emmanuel Macron se distingue de ses prédécesseurs en désignant Premier ministre des gens qui ne sont pas des leaders ou des personnages importants venus des partis politiques, estime Nicolas Roussellier, professeur à Sciences Po. Cela peut présenter des avantages, parce que ces personnes n’ont pas l’image de partisans sectaires et donnent l’impression qu’ils vont s’inspirer des bonnes idées, à droite comme à gauche, mais cela traduit tout autant l’effondrement des partis politiques. »

Nombre de nos concitoyens se réjouissent de l’affaissement des partis politiques, tant ils considèrent ces structures comme des machines militantes dont l’unique objectif est de satisfaire l’ambition de quelques-uns, au détriment du bien public ou de l’intérêt général. Or, qu’on les aime ou pas, ces organisations, tout comme les syndicats, contribuent à la vie démocratique. « En écrasant les corps intermédiaires, on a fait disparaître les lieux de confrontation des points de vue, mais surtout les organismes où la délibération pouvait s’épanouir, analyse la philosophe Marie-Claire Blais. La liberté de chacun n’est pas toujours compatible avec la liberté collective. Pour parvenir à un point d’équilibre, il est essentiel que le débat se déroule par la parole, pas par les actes. »

Verticalité du pouvoir

En faisant remonter jusqu’à lui toutes les décisions, y compris quand il s’agit de calmer la colère des Gilets Jaunes, Emmanuel Macron se retrouve toujours en première ligne. Et, quoi qu’il en dise depuis le 24 avril, on peut parier qu’il en ira de même encore pendant cinq ans.

Comme le prédit Nicolas Roussellier, ceux qui voient nos institutions comme une monarchie républicaine ou, de façon radicale, comme un régime de plus en plus monarchique et de moins en moins républicain, vont s’en donner à cœur joie.

Dans son nouveau livre, « Macron ou les illusions perdues, les larmes de Paul Ricœur » (Le Passeur, 412 p. 21,00 €), l’historien François Dosse déplore une verticalité dans l’exercice du pouvoir qui, selon lui, aggrave plus qu’elle ne résout la crise de confiance des Français : « L’équation personnelle d’un président persuadé d’avoir toujours raison, qui sait s’adapter avec le plus grand naturel à chaque situation au prix de sa propre métamorphose, l’a fortement aidé à prendre ses distances avec le personnage du candidat qu’il a été pour mieux incarner un pouvoir personnel entièrement dévolu à son exercice, se délestant de tout ce qui viendrait encombrer la mission qu’il s’assigne.»

Bien que leurs choix politiques aujourd’hui se confondent avec ceux de leurs concitoyens, les protestants, par leur attachement à la forme synodale des prises de décisions, ne peuvent sans doute pas se reconnaître dans une telle évolution.

« Que cela nous plaise ou non, les crises que nous avons traversées, que nous traversons encore ne peuvent être surmontées que par la verticalité du pouvoir, estime encore Nicolas Roussellier. Bien sûr, on pourrait s’appuyer sur ce qui s’est passé pendant la Première guerre mondiale pour affirmer qu’un parlement peut conduire une guerre avec succès. Mais les institutions n’étaient pas du tout pensées de la même manière.»

Alors ? Alors il faut espérer qu’Elisabeth Borne, sache trouver son espace. En 1984, au cours de l’émission télévisée « L’heure de Vérité », Laurent Fabius, tout jeune Premier ministre, avait su, par une formule, affirmer son existence face au Président Mitterrand : « Lui c’est lui, moi c’est moi », Jean Castex a montré que l’on peut être discipliné, doté d’un narcissisme mesuré, sans pour autant devenir une carpette.

On n’imagine pas l’ancienne ministre des transports de l’écologie puis du travail se dissoudre dans l’enfer de Matignon.

L’avenir dira quelle musique personnelle cette femme de talent fera entendre.

  • A lire : 

« Philosophie critique de la République » par Charles Renouvier, textes réunis et présentés par Marie-Claude Blais (Gallimard 405 p. 22,50 €)

« La force de gouverner » par Nicolas Roussellier (Gallimard, 827 p. 34,50 €)