La scène se répète dans tous les hôpitaux, dès qu’une porte ouvre sur la cour ou sur la rue. Là s’organisent des fumoirs de plein air. Ce sont d’étranges salons fréquentés par une population sans complexe où coexistent les soignants de blanc vêtus, des patients en chemise d’hôpital et des personnes en tenue civile. Ce spectacle est interpellant dans un hôpital sans tabac ! Là où l’on soigne, paradoxalement, la maladie de l’addiction tabagique fait son lit.

Il n’est pas rare de voir fumer une femme enceinte ou un cancéreux déjà sous perfusion. C’est qu’il faut compter avec une addiction complexe, qui piège le cerveau, s’incruste dans les habitudes et les liens sociaux. Comme me disait Nelly, grande lutteuse devant l’Éternel, contre son addiction au tabac : « mieux vaut ne jamais avoir commencé à fumer ! » Elle m’accueille dans sa chambre : « le médecin m’a interdit totalement de fumer, à cause de mon cancer des poumons. Mais c’est trop, je deviens énervée, alors je compte quatre cigarettes par jour, après les repas ».

Elle ouvre sa boite de fer blanc et lentement, avec précaution, suivant un rituel bien rodé, roule une cigarette. Elle m’explique : « ça me prend du temps, cela m’aide à patienter, je prends moins de tabac, c’est moins cher ». Puis elle décide d’aller la fumer. Sa décision paraît plus forte que sa fatigue. Lentement et sûrement, elle se met en route avec potence, pousse seringue et poches suspendues.

Arrivée au salon fumeurs, elle s’appuie au mur et avec des gestes mesurés qui donnent l’impression qu’elle maîtrise son envie, elle tire sa première bouffée. Enfin, elle savoure la récompense ! D’autres patients arrivent et tous font « salon », échangeant sur les dernières méthodes de chimio en vogue dans le service. Lutter contre la cigarette, c’est, Dieu le voulant, trouver d’autres systèmes de récompense, d’autres repères dans la journée et d’autres médiateurs sociaux.