Gérald Darmanin, candidat à sa réélection dans la dixième circonscription du Nord a rappelé cette évidence trop souvent mésestimée: « Les Français sont un peuple politique. »
On pourra dire que l’abstention frappe les esprits, manifeste une colère que ne parviennent pas à masquer les discours et les analyses, mais ce retrait des électeurs est en lui-même un acte politique, en ce qu’il exprime un rejet de l’organisation collective. Il est pourtant possible d’analyser les suffrages exprimés sans craindre une sortie de route.
« Premier élément fondamental, ce premier tour signe une incontestable victoire de la NUPES, estime Nicolas Roussellier, professeur à Sciences Po. Evidemment, nous ne parlons que du nombre de voix ; les projections en sièges nuancent très largement cette impression, ce qui peut conduire à formuler des critiques quant à la méthode employée par les journalistes et les états-majors. Mais, quoi qu’il en soit, nous pouvons dire que la NUPES n’est pas la coalition de circonstance que l’on pouvait imaginer. »
Nombre de politologues ont pu penser que les électeurs qui avaient voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle, par souci d’un vote supposé utile, allait regagner leur famille d’origine. Visiblement, ce n’est pas le cas. « Nous assistons à la naissance d’une vraie force politique, admet Nicolas Roussellier. Cette victoire électorale crédite celui qui l’a conçue, Jean-Luc Mélenchon. Habile à nouer des alliances, à tirer parti de son résultat du mois d’avril dernier, le chef de file des Insoumis, jadis outsider socialiste, réussit enfin son pari. »
En suivant ce constat, l’auteur de ces lignes ne peut s’empêcher de rendre hommage à Stéphane Courtois, historien qui ne peut passer pour complaisant à l’égard de l’extrême gauche, qui nous avait déclaré voici douze ans que Jean-Luc Mélenchon était remarquable en ingénierie politique et qu’il fallait le prendre au sérieux. Le résultat du 12 juin lui donne raison.
De façon mécanique, on peut dire que cette performance a été rendue possible par la campagne atone conduite par le Président de la République et ses soutiens.
Le discours, pourtant tout à fait digne, tenu par la Première ministre au soir du 12 juin, en était le triste symbole : sans élan, prononcé sur un ton monocorde, il ne pouvait convaincre ou susciter l’entraînement des abstentionnistes ou des indécis.
Cette fatigue politique tient à des causes profondes. « Par nature – et c’est justement ce qui faisait sa force et son originalité – le macronisme est apparue comme un pragmatisme assumé, souligne Nicolas Roussellier. Parce qu’il a dû affronter le mouvement des Gilets jaunes, la pandémie, la guerre en Ukraine, le Président de la République a renforcé son profil de gestionnaire de crises -ce qui l’a conduit à aggraver cette tendance originelle à ne pas être un doctrinaire – et mécaniquement à délaisser la part de rêve qu’il avait porté en 2016, par son livre intitulé « Révolution ». Dans le même temps, Jean-Luc Mélenchon a renoué avec la tradition de la gauche contestataire, celle des années soixante-dix, et proposé un programme digne des 110 propositions du candidat Mitterrand en 1981. »
Ces élections législatives ont donc vu, et voient encore s’affronter, d’un côté des candidats qui prétendent poursuivre l’œuvre entreprise, et de l’autre des candidats portés par des idées plus que séduisantes et généreuses – dont la réalisation est cependant aussi hypothétique que le programme rimbaldien « changer la vie ». Dans ces conditions, nous ne pouvons nous étonner du résultat. Ceci étant posé, tout n’est pas encore joué.
« D’abord, les prévisions en siège pour le second tour, comme je l’ai indiqué, laissent présager une victoire, relative, certes, mais victoire tout de même, de la majorité présidentielle, nuance Nicolas Roussellier. Ensuite parce que la virulence de Jean-Luc Mélenchon demeure. Le leader de la NUPES emploie des formules excessives (au soir du premier tour, par exemple, il encourageait les électeurs à « déferler »…) qui peuvent effrayer les électeurs modérés. Si le président de la France Insoumise voulait se contenter d’exercer un pouvoir tribunicien, il ne s’y prendrait pas autrement. »
De quel côté la balance penchera-t-elle dimanche prochain ? Deux formations qu’il ne faut pas enterrer trop vite, auront leur mot à dire. D’abord le Rassemblement national, dont la progression ne cesse de se confirmer ; ensuite la formation Les Républicains, dont les résultats, quoique médiocres, sont nettement meilleurs que ceux obtenus par Valérie Pécresse.
Un peuple politique a toujours l’art et la manière de surprendre les candidats qui se présentent à lui