19.02.2023 : Mt 5.38-48 – Amour des ennemis

L’amour des ennemis

Introduction

Dans le sermon sur la montagne, après avoir montré en quoi la justice des disciples devait dépasser celle des scribes et des pharisiens dans les registres de la colère, de la réconciliation et de la convoitise, Jésus arrive à un sommet de son enseignement avec ses propos sur l’amour des ennemis.

C’est un de passages qui définit le mieux le Christ puisque le cœur de l’évangile est la révélation d’un Dieu qui a préféré mourir pour ses ennemis plutôt que les abattre.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

Œil pour œil : la loi du talion

La loi du talion qui dit : Œil pour œil et dent pour dent a mauvaise réputation, elle est souvent comprise comme la marque d’une justice sauvage et impitoyable. Il faut entendre qu’elle est un progrès par rapport à la loi de la vengeance qui fonctionne selon un mode exponentiel : je te marche sur le pied, tu me donnes un coup de poing, je te tue, ton frère assassine ma famille, mon cousin massacre ton village… La loi du talion dit : Non, un œil pour un œil et pas plus !

Dans le judaïsme, la loi orale a déployé les modalités de cette prescription. Ainsi le Talmud donne la clef d’interprétation : « Quiconque blesse son prochain est astreint à une quintuple réparation : il payera le dommage, la douleur, la médication, la perte de temps et l’humiliation. »

Ne pas résister au méchant

Pris au pied de la lettre, l’appel est choquant car il semble laisser libre court au méchant. Le verbe résister, anthistémi, est utilisé en grec classique pour évoquer une opposition violente, militaire. Ce verset ne dit pas qu’il faut rester docile et soumis face au mauvais, mais qu’il ne faut pas s’y opposer avec violence. Dans l’expression, tendre l’autre joue, le mot important est autre. Trouver une autre solution que la violence pour s’opposer à la violence.

Pistes d’actualisation

1er thème : La non-violence, le Premier et le Nouveau Testament.

Dans ses confessions, Tolstoï raconte qu’il a lu le sermon sur la montagne en compagnie d’un rabbin et que presque après chaque maxime, le rabbin lui montrait que ce que disait Jésus se trouvait déjà dans le Torah et le Talmud. Quand ils sont arrivés au passage sur la non-résistance au méchant et sur l’amour des ennemis, le rabbin s’est tourné vers le romancier et lui a demandé avec un sourire si les chrétiens le vivaient ? Tolstoï de conclure : « Je n’ai rien eu à répondre, d’autant que je savais qu’à ce moment précis, les chrétiens, loin d’offrir leurs joues, frappaient les Juifs sur les leurs, que ces derniers offraient. »Il faisait référence à la vague de pogroms qui a ravagé la Russie dans les années 1881-1882.

Le vrai enjeu n’est pas la façon dont nos interprétons ces versets, mais la façon dont nous les vivons.

2e thème : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous persécutent

Il est difficile d’aimer ses ennemis car s’il est notre ennemi, c’est qu’il nous a blessés et que son comportement suscite plutôt de la colère et de l’animosité en nous. Si on ne peut l’aimer, on peut toujours prier pour lui, demander à Dieu de l’aimer pour nous car nous en sommes peu capables. Le théologien pacifiste Jim Wallis a écrit : « La prière est une nécessité. Sans elle, nous ne considérons que notre propre point de vue, notre propre justice et nous ignorons la perspective de nos ennemis. La prière renverse ces distinctions… elle transforme les ennemis en amis. Quand nous avons porté nos ennemis dans la prière, il devient difficile de maintenir l’hostilité préalable à la violence. En les approchant de nous, la prière nous protège de nos ennemis. » 

3e thème : Si vous aimez ceux qui vous aiment

Nous trouvons parfois dans l’évangile, des versets désarçonnant de limpidité comme celui qui dit : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense aurez-vous ? Les collecteurs des taxes eux-mêmes n’en font-ils pas autant ? Si c’est pour aimer ses amis, nous n’avons pas besoin de l’évangile, tout le monde en fait autant. L’évangile nous appelle à dépasser l’amour du semblable pour inclure l’amour de l’autre, celui qui ne nous ressemble pas, celui que nous n’aimons pas naturellement, l’amour de l’ennemi.

L’Évangile nous invite à passer de la relation naturelle : « J’aime ceux que j’aime » à la relation spirituelle : « J’aime ceux que je n’aime pas, non parce qu’ils sont aimables à mes yeux, mais parce qu’ils sont aimés de Dieu. »

Il est sympathique de penser que Dieu aime tous les humains, il est plus difficile d’en être le témoin en aimant à notre tour.

Une illustration : Les misérables

Dans Les misérables de Victor Hugo. L’histoire fondatrice du héros, Jean Valjean, se situe lorsqu’il vient d’être libéré du bagne. Il est accueilli un soir chez un évêque qui lui annonce l’Évangile. Le lendemain, des gendarmes frappent à la porte de l’évêque en encadrant Jean Valjean, menotté : dans la nuit, il a volé des pièces d’argenterie et s’est enfui. Reconnaissant son hôte, l’évêque s’adresse à lui en lui disant : « Mon ami, je vous avais aussi donné les chandeliers en argent. Tenez-les donc, ils sont à vous ! » Les gendarmes sont obligés de relâcher le voleur. Par son attitude, l’évêque vole son larcin à Jean Valjean en le transformant en don. L’acte qui replongeait l’ancien forçat dans le mal et le malheur est annulé par l’acte de don… sa vie en sera transformée.

Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Amos-Raphaël Ngoua Mouri, pasteur de l’Eglise protestante unie de France, pour discuter de Matthieu 5, 38-48 : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/la-vengeance-et-lamour-des-ennemis/

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis