La question du bien-être animal a fait une entrée remarquée sur la scène médiatique et politique, ces dernières années. Je suis, il faut le dire, parfois plutôt mal à l’aise avec des militants qui semblent très concernés par le sort des animaux, alors que je ne les entends pas parler des millions d’être humains qui vivent dans des conditions déplorables.

Un récent avis du Conseil Economique Social et Environnemental me semble ouvrir un champ de réflexion plus prometteur en soulignant que bien-être animal et humain ont partie liée. Ou encore : les problèmes que l’on voit surgir crûment s’agissant d’animaux, témoignent de conditions de production et de travail qui mettent les humains, eux aussi, en difficulté. Le CESE a prêté une oreille attentive à la démarche dite « one welfare » qui associe bien-être animal, humain et environnemental.

Les conditions de travail : point de rencontre entre l’homme et l’animal

Au-delà du slogan, suggestif en lui-même, le rapport souligne que le lien entre bien-être animal et humain devient très concret si on s’intéresse aux conditions de travail. Le gigantisme des installations qui transforme les animaux en objets passifs, transforme également les travailleurs en pions substituables les uns aux autres et vide leur travail de tout sens. Et le lien fonctionne également dans l’autre sens : c’est parce qu’ils vivent des conditions de travail déshumanisantes qui les font souffrir que des humains finissent par se comporter de manière cruelle et dépersonnalisée à l’égard des animaux.

Il est d’ailleurs un peu inquiétant qu’il faille en passer par la question de la souffrance animale, pour que l’on finisse par se rendre compte que, dans des abattoirs immenses ou dans des élevages intensifs, on traite les hommes comme du matériel sans importance.

Je repense, à ce propos, au commandement de l’Exode sur le repos du sabbat : « Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes » (Ex 20.10). Il signifie, indirectement, que le sort des bêtes déteint sur le sort des hommes et que la manière dont on traite des personnes que l’on pourrait être tenté d’exploiter retentit sur notre propre condition.

En parcourant le rapport du CESE on voit parfaitement que le parti exclusivement productiviste qui a guidé les évolutions de l’élevage est en train de nous rendre tous malades : augmentation de l’effet de serre, baisse de qualité de la nourriture, dégradation des conditions de travail, mal-être animal, etc. Le CESE milite pour une restauration du lien concret entre homme et animal, mais aussi entre les éleveurs et les autres habitants de leur territoire.

Au-delà de l’agri-bashing

Ce lien entre les éleveurs et leurs concitoyens est, en effet, fortement distendu, aujourd’hui. C’est l’ensemble de la profession agricole qui manifeste, régulièrement, parce qu’elle en a assez d’être représentée comme une source de pollution. A vrai dire, nous sommes tous des pollueurs, et c’est à chacun de prendre ses responsabilités. Les agriculteurs, comme tous les autres, ont une marge d’action, même si les aides à la conversion vers une agriculture plus respectueuse de la nature sont insuffisantes.

Mais, au fond, le problème est plus grave. En fait, les agriculteurs sont les premières victimes des substances toxiques qu’ils répandent. Et, à plus court terme encore, ils sont les victimes des maigres rémunérations qu’ils touchent, des horaires de travail hallucinants qu’ils subissent, et du vide de sens d’une activité qui a de moins en moins de lien avec un environnement concret.

Les agriculteurs expriment un malaise que de nombreux salariés éprouvent, eux-aussi : pris dans des rapports sociaux où ils sont les derniers rouages d’engrenages qui les dépassent, ils subissent des coups du sort, des aléas économiques, sans pouvoir faire entendre leur aspiration à une vie digne et pleine de sens.

Et, au bout du compte, comme le laisse entendre le livre de l’Exode, c’est l’ensemble de la vie sociale, c’est nous tous, qui sommes menacés par les déraillages productivistes qui nous mènent, aujourd’hui, dans une impasse.