Qu’on en juge. Sur les 10 médailles d’or obtenues par la délégation française, quatre seulement sont le fait d’individualités (une en escrime, une au tir, une au judo, une au karaté), trois concernent des sports collectifs (handball hommes et femmes et volley-ball hommes), deux des compétitions par équipe dans des sports individuels (judo et escrime) et une l’aviron, où pratiquement toutes les épreuves voient s’affronter des embarcations avec plusieurs rameurs par bateau. Mais le constat ne s’applique pas seulement aux médailles d’or. Il faut encore y ajouter une médaille d’argent en aviron, deux autres en escrime par équipe, deux autres, encore, en sport collectif (rugby à 7 féminin et basket masculin), puis une médaille de bronze en triathlon par équipe (là où les individualités avaient déçu), une autre en concours complet d’équitation par équipe, deux autres encore en cyclisme par équipe (vitesse par équipe et américaine), encore un sport collectif (basket féminin), enfin une épreuve de voile à deux. Cela fait une somme de 17 médailles sur un total de 33 : plus de la moitié, dans un contexte où l’écrasante majorité des épreuves sont individuelles.

Le résultat est conjoncturel et il est probable qu’il ne se reproduira pas. Mais cela dit-il quelque chose sur la société française présente, comparée à d’autres pays ? On a tellement répété que les français étaient individualistes qu’on hésite à le dire !

La fragilité des individus face à l’exigence de performance

Il est certain que l’isolement des athlètes à cause de la COVID a créé un contexte particulier et pas seulement pour les athlètes français. Plusieurs ont témoigné (et pas seulement aux jeux olympiques) qu’ils étaient fragilisés du fait qu’ils se retrouvés coupés de personnes qui les soutenaient en temps normal. Plusieurs, aussi, ont témoigné de la difficulté de concourir sans public. L’américaine Simone Biles s’est ajoutée à la liste de tous les compétiteurs qui ont avoué ouvertement être en grande difficulté du fait des « bulles » qu’on leur imposait.

Devoir porter sur ses épaules le poids des attentes de performance est souvent écrasant. Cela a été dit depuis longtemps à propos des situations de travail, où, précisément, on prend souvent les sportifs de haut niveau comme modèle idéal, en ignorant l’organisation, les collectifs qui les entourent.

Est-ce à dire que les français vivraient ce contraste entre isolement et soutien collectif d’une manière plus aiguë que d’autres ? Eh bien, c’est possible.

Le poids des collectifs de proximité en France

Le rapport des français à l’état est certainement très particulier : un mélange d’amour et de haine sans doute plus détonnant que dans d’autres pays moins centralisés. Mais là on ne parle pas de rapport à l’état : on parle de collectifs de proximité qui font face dans des situations exigeantes.

Il est certain que la vie en société, en France, se nourrit de moments de convivialité nombreux. Beaucoup d’étrangers sont sidérés, par exemple, du temps que nous passons à manger ensemble ou à boire un verre, à plusieurs, au café. On sait aussi que l’ampleur du réseau de sociabilité vient redoubler les inégalités de manière plus forte en France qu’ailleurs : être pauvre, c’est aussi y être isolé.

Plus ou moins qu’ailleurs ? C’est difficile à savoir, mais les règles de distanciation sociale ont montré, par contraste, l’importance des moments de fête collective, pour les français.

En tout cas, il ne me paraît pas faux de dire que les individus français sont moins solides, moins sûrs d’eux, que les individus d’autres sociétés, qui forment plus à l’autonomie. Cela a, également, souvent été souligné : l’éducation, en France, est critique et met beaucoup d’élèves sur la défensive, tandis que la pratique, dans d’autres pays, est de souligner les points forts de chacun.

Toutes ces bribes d’analyse (bien répertoriées) peuvent rendre compte de ce qu’effectivement, dans un contexte d’isolement et de mise en difficulté des sportifs, les collectifs aient tenu et se soient montrés particulièrement soudés parmi les français.

De ensemble à tous ensemble

Il faut, évidemment, souligner la différence entre des collectifs soudés par la compétition et la vision d’une société de partage ouverte à tous. Ce n’est pas nouveau : les évangiles, déjà, marquaient l’écart entre aimer ceux qui nous aiment et étendre cet amour même à ceux qui nous sont ou qui nous apparaissent hostiles.

Mais il n’en reste pas moins que la mise en tension des relations sociales, du fait de l’épidémie de COVID, fait ressortir des points de fragilité et des points de force et de résistance dignes d’intérêt. En France plus qu’ailleurs ? Peut-être.