La crise des gilets jaunes semble en avoir repoussé l’échéance. En attendant, les responsables musulmans tentent de garder la main.

État a tenu en septembre des Assises territoriales de l’islam dans tous les départements. Les responsables musulmans étaient invités par les préfectures à exprimer leurs besoins. L’initiative n’a pas plu aux dirigeants du Conseil français du culte musulman (CFCM). L’institution représentative des lieux de culte musulmans, mise en place par Nicolas Sarkozy en 2003, entend garder la main sur l’organisation de l’islam. « Après 15 ans d’existence, c’est l’heure du bilan », estime Saïd Aalla, président de la Grande mosquée du Heyritz à Strasbourg, membre de l’union des mosquées de France. « Le CFCM a aujourd’hui un problème de légitimité. Les musulmans ne comprennent pas ses réalisations. Il représente les lieux de culte et pas l’ensemble des institutions musulmanes comme le CRIF pour les juifs. Cela n’est pas compris par les musulmans de France qui le voient comme loin des préoccupations de la communauté. » Formation des imams, labellisation de la viande halal, régulation des agences de pèlerinage à la Mecque… Le CFCM s’est donné de nombreuses missions qu’il n’a pas su faire aboutir, provoquant méfiance et déception. « Il a permis que le Ramadan commence le même jour pour tout le monde et a tenu son rôle d’interlocuteur unique auprès des instances publiques », souligne cependant Saïd Aalla. Dans son rapport à Emmanuel Macron La fabrique de l’islamisme, Hakim El Karoui, de l’institut Montaigne, préconisait en septembre la création d’une structure pour gérer le financement du culte.

En janvier, il lançait publiquement cette association : l’Amif, Association musulmane pour un islam de France. À ses côtés : le théologien Tareq Oubrou, mais aussi Abdelhaq Nabaoui, président du Conseil régional du culte musulman (CRCM) d’Alsace, l’antenne régionale du CFCM pour qui l’Amif et le CFCM seraient « complémentaires ». Sa position a irrité ses partenaires en Alsace et lui a valu son éviction par le CFCM de son poste d’aumônier national des hôpitaux. « Il y a eu un investissement considérable sur le CFCM. Si on commence à multiplier les centres d’efforts, on va s’égarer et passer notre temps à régler des conflits d’intérêts entre les structures », prévient Murat Ercan, vice-président du CRCM Alsace.

Centraliser l’argent de l’islam ?

L’Amif ambitionne de centraliser les dons et des redevances sur le halal et les agences d’organisation des pèlerinages. Elle a le soutien du gouvernement mais pas assez d’adhérents pour exister juridiquement. De son côté, le CFCM aussi a créé en août une association dédiée à l’argent de l’islam. Mais elle reste une coquille vide. Bloqué par la loi de 1905 qui lui interdit tout subside
public, le CFCM ne fonctionne aujourd’hui qu’avec les cotisations des fédérations qui le composent.

Pour Saïd Aalla, centraliser le financement de l’islam est une fausse piste : « Les mosquées vivent à 90% de la générosité des fidèles. Déboussoler ce système risque de créer de la méfiance vis-à-vis d’une structure lointaine seule juge des bénéficiaires, et de décourager l’élan de générosité. » Quant aux ressources d’hypothétiques redevances, elles seraient « dérisoires » : « Taxer le halal n’est pas réalisable dans l’immédiat et on estime que les agences de pèlerinage rapporteraient de 4 à 7 millions d’euros par an. Rémunérer un imam pour chacune des 2500 mosquées de France demande 27 millions d’euros par an, sur la base du smic. » Plus de femmes, de jeunes, de convertis et d’imams… Sur le terrain, les musulmans attendent surtout que le CFCM se démocratise. Ahmet Ogras, son président, promet depuis des mois des propositions. Le CFCM est sensé tenir des élections en juin. Tout porte à croire qu’elles seront reportées.