D’abord, élaborer une hypothèse. Ensuite, la tester par l’expérience. Observer les résultats obtenus. Les reproduire. Encore, encore et encore. Jusqu’à pouvoir déduire, de manière raisonnable, qu’il est temps d’inscrire une nouvelle ligne dans le grand livre de la connaissance scientifique. La recherche avance par à-coups, grâce au travail de professionnels chargés d’aller creuser au-delà ou à la marge de ce qui fait consensus.

«En tant que chercheurs, nous passons notre vie à douter, pose en préambule Bernard Poulain, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des neurotoxines bactériennes. Lorsque nous élaborons une hypothèse à partir d’un faisceau d’observations, c’est que nous ne sommes pas certains de notre conclusion.» Le doute intervient ensuite au moment d’élaborer un protocole d’expérience pour la valider et lors de l’interprétation des résultats. Pourront-ils être reproduits par d’autres ? Fondent-ils l’hypothèse ?

Véritable outil scientifique, le doute permet aussi «de remettre en cause le savoir établi, poursuit Bernard Poulain. La recherche crée de nouvelles connaissances en détruisant ce qui apparaissait jusqu’à un moment donné comme l’état de la connaissance.» Pris de cette manière, « le doute est un moteur », juge le chercheur. Mais il peut aussi être handicapant.

Trouver la bonne fenêtre de doute

Joseph Moran est professeur à l’Institut de sciences et d’ingénierie supramoléculaire de l’Université de Strasbourg. Ses travaux portent sur la chimie catalytique – une branche ancienne et très étudiée – mais aussi sur l’origine de la vie – chimie prébiotique – et sur les interactions entre matière et lumière. Ces deux derniers domaines sont très récents. « Toute la connaissance est à construire, ce qui est à la fois très stimulant et très déstabilisant, puisque nous avons très peu de savoir sur lequel nous appuyer, explique-t-il. Dans ces champs-là, il y a tellement d’inconnu que douter peut empêcher d’élaborer des expériences. Il y a un équilibre à trouver. » Pour ce faire, « il faut réfléchir à son hypothèse suffisamment longtemps pour avoir envie de la tester », mais pas trop non plus, pour garder l’envie de réaliser une expérience la validant.

Une fois l’hypothèse vérifiée, cependant, surgit un dernier doute. Celui de sa longévité en tant que vérité, connaissance tangible. Demain, peut-être, de nouvelles observations remettront en doute d’anciennes hypothèses devenues certitudes. Le doute scientifique peut alors laisser place au doute du scientifique. « Travailler dans de nouveaux domaines, c’est parfois difficile sur un plan personnel, reconnait Joseph Moran. Il faut accepter la possibilité que ce sur quoi on a travaillé toute sa vie puisse être un jour obsolète. Ce qui ne veut pas dire que l’on aura travaillé pour rien. Nos travaux auront été nécessaires pour la construction du domaine de connaissance. C’est l’évolution naturelle de la science. »