Rien n’est périlleux comme d’affirmer que l’on n’est plus le même. D’abord parce qu’en éthique, on ne peut parler de soi pour soi sans tenir compte du regard des autres ; ensuite et surtout parce que vos interlocuteurs peuvent à tout moment déceler chez vous des traits de caractères identiques et vous répondre que « non, décidément, vous n’avez décidément pas changé » – avec cette tonalité péjorative dans la voix qui signe les plus féroces reproches. Pour le dire autrement, le public a parfois mauvais goût, mais il ne se trompe jamais sur la nature du spectacle qui lui est proposé. De là découle une loi d’airain de la vie politique : un président de la République, un Premier ministre, un élu de premier plan, n’ont jamais intérêt à faire amende honorable.
En déclarant « J’ai appris », lors de son intervention télévisuelle du mercredi 15 décembre, Emmanuel Macron s’est aventuré sur un terrain dangereux. Bien sûr, à nous, il n’a rien appris : nous savons tous qu’en devenant chef d’Etat, même un être doué d’une intelligence hors norme découvre des choses auxquelles il ne s’attendait pas. Ce n’était donc pas une information capitale. De surcroît, ce message induisait l’idée qu’Emmanuel Macron, changeant de rapport au pouvoir, n’entretenait plus le même rapport avec la France. Une telle idée, subliminale, partait d’une bonne intention :

« Seuls les imbéciles ne changent pas d’idées » prétend l’adage populaire. Il n’en demeure pas moins qu’elle était politiquement dangereuse.« Eh oui, diront les rieurs, nous l’avions bien dit, ce jeune homme n’a pas l’étoffe du rôle ! » et de citer Qohéleth : « Malheureux es-tu, pays dont le roi est un jeune homme! » Diagnostic injuste et sévère, tant il est vrai, Corneille le rappelle dans « Le Cid », que « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes : ils peuvent se tromper comme les autres hommes. »

Certes. Mais dans notre pays, qu’on le déplore ou s’en réjouisse, le chef de l’Etat se glisse dans un costume dont il ne peut se défaire sans péril, car alors il redevient le brave type- ou la brave fille, un jour prochain- que l’on peut rudoyer sans plus de manières.

« Il faut être couturé »

En 2012, quelques semaines avant le début de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait déclaré : « J’ai changé. » Mal lui en avait pris. Ceux qui n’aimaient rien tant que sa pugnacité regrettaient ce recul et ceux qui rejetaient sa façon d’incarner sa fonction considéraient cet aveu pour un premier sang. Réaliste, Antoine Rufenacht, ancien maire du Havre et protestant, nous avait dit voici quatre ou cinq ans, « Pour être président de la République, il faut être couturé. » C’est peut-être dommage, mais c’est ainsi. De fait, les combattants dont les cicatrices ont durci la peau jusqu’à les faire apparaître en sauriens jamais ne déclarent qu’ils ont changé, qu’ils ont appris. Ce sont des coriaces.
A-t-on jamais entendu François Mitterrand ou Jacques Chirac affirmer qu’ils avaient été transformés par l’exercice des responsabilités ? Pardi ! C’est tout le contraire. Au mépris des commentaires, ils affirmaient l’être dans l’être ! L’homme de la Force tranquille usait d’un visage impénétrable pour indiquer la puissance que le temps lui conférait ; le Corrézien se prétendait victime d’un « délit de sale gueule » quand son Premier ministre le disait fatigué. Nul n’était dupe de la comédie qui se jouait mais, parce que ces personnages se montraient conformes à leur incarnation d’origine, ils conservaient quelques longueurs d’avance. Il est trop tôt pour savoir quel impact aura l’exercice auquel Emmanuel Macron s’est livré mercredi dernier. Mais on peut parier qu’il a, sur ce point, manqué de pertinence.