Ce weekend j’ai fait un plongeon au cœur de l’absurdité bureaucratique et économique qui m’a laissé ce sentiment d’angoisse claustrophobe insupportable que génère la lecture de certains écrits de Kafka ou de Kundera.

Julie, une jeune éducatrice m’a décrit son nouveau travail. Elle vient d’être embauchée en CDD par une grande association sur le « plan grand froid » dans une grande ville de notre pays 1.

Déjà l’embauche de toute l’équipe n’a pu se faire que quelques jours avant le début du « plan », les financements publics n’étant débloqués qu’à partir du début de l’action.

Deux jours avant l’arrivée des premières familles, l’équipe s’est retrouvée dans les locaux d’une vieille caserne désaffectée totalement inadaptée et dans un tel état d’insalubrité que la société de nettoyage qui avait été sollicitée est repartie au bout de quelques heures en refusant d’intervenir dans des locaux dans un tel état.

Au milieu de tous les efforts de nettoyage, d’aménagement et de lutte contre les cafards et autres bestioles auxquels s’est courageusement attelée l’équipe, les premières familles sont arrivées et ont commencé à s’installer.

126 sont attendues et devaient, selon le plan défini, être toutes arrivées avant le 15 décembre, 50 devant être hébergées dans les locaux de la caserne et les autres dans un centre d’hébergement tout proche… qui est encore occupé par des familles qui auraient dues être replacées dans d’autres dispositifs… eux aussi saturés… !

Mais le « plan grand froid » a été élaboré avec précision – et économie – et doit s’exécuter selon les prévisions d’exécution des autres plans concernant les autres dispositifs qui prévoyaient que le centre d’hébergement devait être vide au moment de l’arrivée des nouvelles familles.

Les finances accordées à l’association pour gérer ce « plan grand froid » sont destinées à « accueillir » 126 familles – pas moins – et il est indispensable que l’association accueille ces 126 familles !

Pas de place peut-être mais du coup pas d’argent non plus si tout le monde ne peut pas être accueilli !

Le chef de service s’est alors lancé dans un bras de fer avec l’association refusant d’entasser les personnes et les familles dans ces locaux déjà très exigus et inappropriés.

Et Julie a continué son récit en disant que le chef de service tenait à ce que toute personne accueillie le soit avec une tasse de café ou de thé… mais la grande question qui s’est alors posée était de savoir sur quel budget ce thé et ce café vont pouvoir être achetés : ce n’est pas prévu dans le budget du « plan grand froid » qui n’est qu’une mise à l’abri des personnes !

Et il en est de même pour l’achat d’un petit sapin de Noël que l’équipe voulait placer pour donner un petit air de fête à ces locaux lugubres.

C’est encore une question financière qui empêche l’équipe de faire appel à des services de traduction pourtant combien nécessaires pour pouvoir être en lien avec ces familles venant de multiples régions du monde.

Les projections, les évaluations et les exigences financières n’ont été pensées que comme s’il s’agissait de gérer la mise à l’abri d’objets qu’il suffirait de poser dans un hangar en attendant que le gel ou la pluie cessent pour pouvoir les remettre dehors.

Mais la vie résiste – et heureusement ! – à la déshumanisation.

Elle est toujours inattendue, surprise, résistance, opposition, imagination…

La pression de la planification et des restrictions budgétaires met les opérateurs et les travailleurs sociaux dans des situations intenables et les personnes bénéficiaires de leurs services dans des situations insupportables.

On ne le dira jamais assez et jamais assez fort : traiter (maltraiter !) de la sorte des personnes et des familles déjà fragilisées par des parcours, bien souvent, d’une rare violence est totalement inadmissible et inacceptable dans un pays qui se voudrait être le chantre des droits de l’homme.

Le mercredi 17 décembre 2019

1 Le nom de l’éducatrice a été changé et l’association et la ville ne sont pas nommées car cette situation correspond, malheureusement, à bien d’autres !