Presque un mois. C’est très peu quand on y songe. Mais c’est un monde quand précisément l’univers est à la merci du chaos. Certes, les affaires internationales n’ont jamais occupé le cœur d’une campagne électorale française, et tous les présidents sortants qui ont cherché à tirer profit de leur statut international en ont été pour leurs frais. Mais il est évident que le conflit en Ukraine, par son ampleur et ses enjeux, modifie les données du problème. De quelle façon ? Nicolas Roussellier, professeur à Sciences Po, historien de la politique et protestant, livre son analyse.
« Première observation, c’est la première fois qu’une élection présidentielle au suffrage universel se déroule en même temps qu’une guerre qui, pour n’être pas menée directement par l’armée française, n’en est pas moins très proche de nous, tant géographiquement que stratégiquement, note Nicolas Roussellier. Plus que jamais nous devons rester modestes dans nos prédictions, car nous n’avons pas de repères pour affirmer quelle sera l’influence des événements militaires sur la campagne électorale. »
Ces précautions formulées, notre interlocuteur estime que le Président sortant va profiter des circonstances :
« D’ores et déjà présent sur les écrans de téléphone et de télévision, le chef de l’Etat va continuer d’apparaître au centre du jeu, tandis que ses opposants, contraints de commenter l’actualité sans en connaître toutes les complexités, seront à la traîne. Bien sûr, il est trop tôt pour parler d’un réflexe patriotique, ce que les anglo-saxons nomment « se mettre derrière le drapeau », mais la plupart des électeurs, au moins pendant les jours à venir, estimeront tout discours nuancé comme une forme de complaisance à l’égard de Vladimir Poutine et donc en feront payer le prix à ceux qui le tiendront. »
Déjà, les souffrances endurées par le peuple Ukrainien, sa capacité – remarquable, inattendue pour partie- à résister, contraignent Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen à ne pas trop critiquer la politique de la France. Peu suspecte de faiblesse à l’endroit de la Russie, débarrassée de l’encombrant François Fillon, Valérie Pécresse a bien tenté de tirer son épingle du jeu. Mais elle a pour l’instant peiné à expliquer de quelle manière elle ferait mieux qu’Emmanuel Macron. Voilà pourquoi le réflexe légitimiste peut favoriser le candidat de La République en Marche.
Il est fréquent qu’un président sortant se voie reprocher d’abuser de sa fonction pour se placer au dessus de ses concurrents. Ces critiques n’ont pas manqué d’être exprimées jusqu’à la semaine dernière. Mais depuis jeudi, qui pourrait tenir rigueur à Emmanuel Macron de se mobiliser sur le front international? Au plan humain même, le conflit en Ukraine change l’équation du scrutin. « Cette guerre donne au chef de l’Etat la patine qui lui manquait, considère Nicolas Roussellier. L’homme de la startup nation se démène, et son ubiquité lui permet non seulement de démontrer son efficacité, mais de tenir le rôle classique du Protecteur.» Dès jeudi, la mue présidentielle s’est affirmée. « Je veux vous dire ma détermination à vous protéger sans relâche, a déclaré le chef de l’Etat. Protéger tous nos compatriotes exposés en Ukraine, protéger tous les Français et prendre les décisions qui s’imposeront quant aux conséquences directes et indirectes de cette crise. » Il reste à savoir si nos compatriotes accepteront que le séducteur tous azimuts endosse la tunique du père… et si les conséquences économiques du conflit lui permettront de le faire!
« Emmanuel Macron ne peut pas mésestimer cette menace-là, pense notre historien. Si le prix de l’essence, des produits de première nécessité, connaissait une augmentation brutale et spectaculaire, alors la question du pouvoir d’achat s’inviterait dans le débat public et placerait le président sortant sur la défensive. Bien qu’il ne puisse être tenu pour responsable de la guerre en Ukraine- il a d’ailleurs fait le maximum pour l’empêcher- le Président de la République apparaîtrait comme le coupable idéal aux yeux de nos concitoyens qui connaissent des conditions de vie précaires.»
On le voit, même si le président peut tirer un bénéfice politique du contexte international dramatique, il ne peut nourrir aucune certitude. En de telles circonstances, peut-on imaginer que les protestants portent un message, une parole spécifique?
« Dans leur histoire, confrontés à la guerre, les protestants ont toujours été les chevilles ouvrières de ce que l’on a appelé la paix par le droit, souligne Nicolas Roussellier. C’est la grande tradition de Kant et l’idée qu’il est possible de désamorcer les conflits par la négociation. Bien entendu, les faucons peuvent en rire aujourd’hui, rappeler que seule la force permet de l’emporter mais, toutes choses égales, rira bien qui rira le dernier. Les protestants ont joué un rôle essentiel dans l’élaboration du droit international dont nous voyons qu’en dépit des violences militaires il demeure une ressource essentielle. Nous ne devons donc pas baisser les bras. Ce n’est pas faire preuve de faiblesse que de rester fidèles à nos valeurs chrétiennes. »