La racine latine du mot doute signifie deux – comme pour le mot allemand Zweifel. Par son étymologie, le mot indique une dualité dans la pensée. En creusant un peu plus, il se trouve qu’en ancien français, le verbe douter avait le sens de craindre – d’où le verbe redouter. Avant d’être une attitude qui favorise la créativité, le signe d’une réflexion approfondie ou d’un esprit critique bienfaisant, douter impliquerait de la peur. De la peur pour ce que nous ne pouvons pas anticiper, pour ce qui nous est étranger, pour ce que nous ne comprenons pas, pour ce qui n’entre pas dans nos habitudes. Peur de ce quelque chose – une idée, un événement – qui viendrait bouleverser ce que nous connaissons de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Ainsi, douter serait craindre ce qui nous est inconnu.

N’est-ce pas ce que nous observons actuellement ? Sous prétexte de lutte contre la manipulation dont nous pourrions être les victimes ou parce que nous ne voudrions pas être considérés comme des ignorants, nous tenons à être dans le camp de celles et ceux qui ont raison. Or, le contexte actuel instaure un climat de défiance qui s’insinue dans nos relations avec les autres. Ce climat fausse les échanges et empêche les débats d’être sereins et enrichissants. Le débat n’est plus équilibré, voire devient impossible parce qu’il fait s’entrechoquer des certitudes, parfois tronquées et fausses. L’échange d’idées ou d’arguments a cédé la place à des flopées d’anathèmes lancées à la tête de celles et ceux qui ne pensent pas comme nous.

D’une incertitude qui pousse à chercher une solution, à nourrir une idée, à développer un argument et qui aide à avancer, nous observons que le doute devient de la méfiance et du mépris à l’encontre des autres. On les accuse avec tant de facilité d’être des menteurs, d’être illégitimes à porter une parole, d’être manipulés ou manipulateurs, d’avoir des objectifs inavoués ou de ne servir que leurs propres intérêts. Ainsi ce ne sont plus les idées qui sont remises en question, mais c’est l’autre qui devient douteux. Comment dès lors les échanges, les partages ou l’édification mutuelle pourraient être encore envisageables, sinon en acceptant notre incapacité toute humaine à tout savoir et à présager des intentions de l’autre ou de ce qui a construit sa pensée ?