Cette diversité est méconnue en France, du fait d’un discours médiatique uniformisant et simplificateur, mais aussi d’une méconnaissance profonde du fait religieux et de l’histoire des minorités.

Les musulmans évoquent communément leur appartenance communautaire à travers le vocable de oumma, cette communauté de foi qui les unit de par le monde. Ce terme de communauté agit à la fois comme un symbole et comme un catalyseur. Cependant, au plan pratique, l’islam se caractérise à la fois par une multitude de communautés de foi, même si l’islam sunnite est largement majoritaire au niveau mondial comme national.

Une présence inscrite dans l’histoire

Les musulmans représentent une composante importante du paysage hexagonal ; leur présence est inscrite au cœur même de l’histoire de France, si l’on remonte aux communautés musulmanes locales qui ont perduré sur le sol français, notamment dans les régions du pourtour méditerranéen, durant tout le Moyen Âge. À l’époque contemporaine, l’histoire des musulmans français se situe au carrefour de la colonisation française, puis des immigrations post-coloniales. Durant tout le XIXe siècle, on note ainsi la présence récurrente de musulmans sur le territoire français. À ce propos, Michel Renard, dont les travaux sont malheureusement trop méconnus du grand public, mentionne qu’après l’ambassade ottomane à Paris qui obtient l’enclos musulman et la « mosquée » dans le cimetière du Père-Lachaise (1857), l’armée française est à l’origine d’une attention généralisée aux rituels d’inhumation musulmans à partir de l’automne 1914, et ensuite par la réalisation mémorialo-commémorative des nécropoles militaires et des carrés musulmans dans les cimetières. Le profil majoritaire des musulmans est, certes, lié directement à l’histoire coloniale et aux deux Guerres Mondiales, dans lesquelles beaucoup d’entre eux seront enrôlés.

Une immigration économique récente

À partir des années 1960, leur présence est à la fois plus importante et plus durable. Pour les responsables politiques nationaux, il s’agit de booster le développement industriel et urbanistique national par l’apport d’une main-d’œuvre issue des anciennes colonies. Les immigrés musulmans sont majoritairement issus du Maghreb, avec une forte dominante algérienne et marocaine, mais aussi d’Afrique subsaharienne avec une dominante des pays de la vallée du fleuve Sénégal (Mali, Mauritanie et Sénégal). Les Turcs, avec au moins 450 000 personnes, font également partie intégrante du paysage de l’islam français. En outre, on compte une proportion forte de rapatriés d’Algérie, encore appelés Harkis ou Français musulmans, auxquels s’ajoutent les convertis, avec là aussi une estimation située dans une amplitude assez large, allant de 30 000 à 100 000 personnes. Derrière ce portrait général, l’islam français forme une sorte de mosaïque de quelque cinq à six millions de personnes, encore très liées à leur histoire migratoire, où s’entremêlent les appartenances idéologiques, ethniques, nationales et spirituelles.

De multiples visages doctrinaux

L’islam de France reflète aux plans institutionnel et cultuel, la diversité du monde musulman. On y trouve de nombreuses associations musulmanes, dont la quasi-totalité a le statut d’associations culturelles ayant un objet cultuel secondaire. Ces associations peuvent être typologisées en trois grandes catégories. La première englobe les associations qui entretiennent une relation aux États dont les musulmans, immigrés ou non, sont toujours ressortissants. Par exemple, la Grande mosquée de Paris entretient des liens étroits avec l’Algérie ; la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), le Rassemblement des musulmans de France (RMF) et l’Union des mosquées de France (UMF) sont toutes les trois en lien avec le Maroc ; de son côté, le Comité de coordination des musulmans turcs de France (CCMTF) représente l’islam officiel turc. La deuxième catégorie concerne les tendances de l’islam militant ; il s’agit d’un militantisme de type fondamentaliste piétiste pour les deux associations Foi et pratique et Tabligh et da’wa, toutes les deux sont liées au mouvement international tabligh ; l’Union des organisations islamiques de France (UOIF) se situe dans la mouvance des Frères musulmans et le groupe Mili görus est lié aux islamistes turcs. L’association Participation et spiritualité musulmane (PSM) est quant à elle une émanation du mouvement islamiste marocain Justice et bienfaisance. La troisième catégorie englobe l’ensemble des confréries soufies présentent en France ; la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des Comores et des Antilles, fédère des associations reconnaissant El Hadj Moussa Touré comme leur « guide suprême ». De nombreuses associations d’Afrique subsaharienne sont des ramifications de confréries soufies locales.

Des musulmans sécularisés ?

Au plan individuel, l’islam français est surtout le fait de personnes détachées de la pratique religieuse telle que la définissent les institutions musulmanes. Depuis la fin des années 1980, environ 15 % des personnes issues de familles musulmanes déclarent, dans les sondages d’opinion, ne plus être musulmanes ; soit elles ont changé de religion, soit elles se sont détachées de toute référence religieuse. À côté de ce premier groupe, un large second groupe oscille sur une échelle de pratique religieuse d’intensité plus ou moins faible. Un troisième groupe, enfin, donne à voir une pratique beaucoup plus assidue au quotidien, avec une minorité située dans une appartenance plus radicale. Finalement, derrière la face apparente de l’iceberg, l’islam français semble suivre les traits généraux des autres religions hexagonales.

Omero Marongiu-Perria est sociologue de l’ethnicité et des religions et spécialiste de l’islam français.