Comme beaucoup de monde, j’ai vu arriver la perspective d’un vaccin « à ARN messager » d’un œil suspicieux. Il faut bien avouer qu’en 2020, les Français se sont retrouvés tour à tour épidémiologistes, virologues, statisticiens, économistes de la santé… Tout le monde a un avis sur tout, circonstancié, documenté et sourcé auprès de l’OMS, de la NASA ou des Illuminati… Un avis sur tout, et aussi sur son contraire. Les rumeurs les plus folles courent, les arguments et contre-vérités s’échangent – parfois assortis de noms d’oiseaux. Dans le brouhaha ambiant, la meilleure parade consiste souvent à tourner le bouton pour s’en retourner à ses activités. C’est désormais ce que je fais la plupart du temps.

Beaucoup de mes collègues thérapeutes hurlent depuis le début contre la vaccination – mais comme ils le font pour d’autres soins : injections de substances létales, modifications de notre génome, tout y passe… Certains ont même affiché des slogans « je ne me ferai pas vacciner » sur les photos de profil de leurs réseaux sociaux, et s’échangent moults recettes pour renforcer leur immunité – la seule barrière anti-Covid acceptable à leurs yeux. A l’inverse, les seniors autour de moi piaffent d’impatience, prêts à braquer les centres de vaccination – et on les comprend quand on sait qu’ils sont en première ligne des victimes potentielles.

Le vaccin, pourquoi pas, me disais-je, je me déciderai le moment venu. A vrai dire, je ne me sens pas concernée. Il faut dire que, même si j’ai un peu plus de 50 ans comme chacun sait ici, je n’ai pas – Dieu merci – de facteurs de comorbidité qui ferait de moi un public prioritaire. Donc j’estimais que le sujet ne me regardait pas encore. Et à tout dire, je fomentais l’espoir secret que, une fois la plus grande partie de la population vaccinée, une autre partie pourrait s’en affranchir, au titre de l’immunité collective acquise. Dans ma tête, j’ai classé le dossier.

Et il a une petite semaine, surprise, l’hôpital de ma ville, dans lequel je suis bénévole, me propose de recevoir la première injection. J’appartiens à une petite équipe qui fréquente régulièrement cet établissement et je comprends que nous sommes des facteurs de contamination au même titre que les soignants. On nous propose de nous associer à la campagne de vaccination du personnel. Bigre, je n’avais pas vu les choses comme cela.

J’avoue, j’ai hésité : n’y avait-il pas des gens plus prioritaires que moi ? Mais je réalise que ma décision l’emporte vite : j’ai des parents qui ont plus de 70 ans, et je veux les protéger, et en tant que professionnel côtoyant du public – à mon cabinet comme à l’hôpital, je réalise que, si on me le propose, il est dès lors de mon devoir d’accepter.

Je ferai court sur l’excellente organisation de la vaccination, par des soignants attentifs et des médecins rigoureux, que j’ai longuement remerciés, et pour lesquels j’éprouve une réelle gratitude. 30 minutes après mon entrée, je quitte l’hôpital avec un pansement sur le bras gauche, et un sourire aux lèvres. Quel étonnement de traîner cet air béat pendant plusieurs heures… J’ai l’impression d’avoir basculé dans un autre monde. Oserais-je le confier : pendant quelques heures, j’ai conçu une stupide sensation de toute-puissance. Mystique, mon personnage préféré des X-men, à côté de moi, c’est une débutante !

J’informe mes proches, qui me renvoient force félicitations :

  • Tu vas pouvoir faire la fête (ma fille, jeune adulte en mal de soirées)
  • Moi j’y vais mercredi (mon père, mon complice de 78 ans)
  • Est-ce que tu as observé l’apparition d’une phosphorescence ? (mon frère, jamais en mal d’une boutade)
  • Je pourrai te toucher ? C’est la première fois que j’approche une femme vaccinée (mon chéri, curieux).

Passé ce premier stade, je me ressaisis, et je redescends sur terre : le vaccin, c’est bien mais il ne faut pas négliger nos bonnes vieilles habitudes : gestes barrière, distanciation… Sans compter qu’il ne sera réellement efficace qu’au bout de 10 à 12 jours – et qu’il n’empêche pas que je puisse être porteur sain.

Pendant quelques heures, je passe par l’étape suivante : « je mesure ma chance ». Je pense au travail des chercheurs, je me dis qu’on a de la chance de vivre dans un pays occidental développé, soucieux de la Recherche et de la santé de sa population, je vois le vaccin comme un Graal, j’ai l’impression de faire partie d’un club fermé, je m’estime privilégiée d’y avoir eu accès aussi vite – limite je culpabilise. J’ai oublié de vous dire que je n’ai eu aucun effet secondaire (pas plus que mon père d’ailleurs, qui a été vacciné juste après moi).

Et puis un matin, j’ai conscience d’une certaine responsabilité et là, le ciel s’est ouvert. Enfin, j’ai la certitude intense que les choses pourraient changer. Que l’on va peut-être vers le bout du tunnel, retrouver le monde et nos vies d’avant. Sortir de nos cavernes, voir du monde, se toucher… Je ressens un soulagement que je n’ai pas éprouvé depuis longtemps : enfin, il se passe quelque chose qui peut faire bouger les choses. J’ai la sensation que j’ai fait ma part, que je redeviens enfin active, dans une crise que l’on subit depuis 10 mois. Je me dis que si tout le monde s’y met, ça peut faire une grosse différence. Là est notre responsabilité, j’estime que c’est en tout cas la mienne.

Je décide de partager l’information sur Facebook uniquement auprès d’amis, en faisant tout de même un peu profil bas. Les réactions sont partagées : pourquoi toi ? Tu as déjà 75 ans ? La chance ! (cette réflexion que j’avais lorsque j’avais une très bonne note en classe, et ma meilleure amie un râteau), Bravo ! Je t’envie, Moi aussi, dès que je peux je le fais…

Pas de complotistes, peu de critiques. Les réactions sont plutôt positives. Mais surtout, si je souhaite le partager, comme je le fais avec vous, c’est pour témoigner que chacun peut faire sa part. Le vaccin n’est pas la solution unique, il ne résout qu’une partie du problème. Que vous soyez pour ou contre, ne pensez pas qu’à vous. Pensez aussi aux autres.