Ils ont le nez sur leur téléphone. Éduqués par l’image plutôt qu’à l’image, ils ne lisent plus, n’orthographient plus, n’écoutent plus la radio. Cela peut énerver quand on s’adresse à eux, mais les livres, la radio « c’est mort », comme ils disent. En jeu, le pouvoir et la liberté. L’écriture est linéaire, il faut subir le raisonnement de l’auteur pour s’en faire une idée, c’est long. La radio est également un programme fixe prévu par une rédaction. Il manque l’espace, l’instantané, le choix d’un raisonnement sautillant d’idée en idée, le partage avec les amis. Le mouvement s’est amorcé dans les années 80 avec le foisonnement des radios libres, de journaux aux photos pleine-page, de la bande dessinée. Ce n’est pas qu’ils soient plus flemmards que d’autres, mais le monde d’avant a pour eux le goût suranné de la 2D alors qu’ils maîtrisent la 3D et surfent déjà sur la 4D, cette 3D de l’instantané.

Eux ? Non, ce ne sont pas les jeunes. Certains jeunes lisent beaucoup et aiment le raisonnement linéaire jusqu’à le pousser à l’extrême. Eux, c’est un monde d’instinct plus que de compréhension qui se sépare à grande vitesse du monde de Bach et de Chateaubriand jusqu’à former des communautés autonomes d’amis sécurisées, cryptées. L’avantage pour eux ? Le paysage de leur vie se compose des éléments qu’ils veulent y faire entrer. Ils vont droit à leur sujet, le partagent en direct avec des centaines de followers, fourmillent d’idée et de créativité. Et ce monde en patchwork, c’est déjà eux qui le dirigent et le décident.

Le risque? On n’échappe pas aux contingences humaines. La communauté délimite un intérieur, mais plus elle est forte, plus elle délimite aussi un extérieur duquel on peut rapidement se couper. L’émiettement des communautés risque le communautarisme. Pourtant, elles ont la sensation d’autant plus vive des fondamentaux : faire partie d’une même terre à préserver, d’une même famille humaine. Sans doute est-ce un espoir pour le futur. Le vrai risque est dans le choix et la manipulation. On prend l’information que l’on souhaite, sans être bousculé par autre chose, les supports d’information allant dans le sens du client. Or, entre Noël et Pâques, l’essentiel est justement d’accepter d’être bousculé dans ses certitudes, même un peu. Même dans ces temps troublés.