« Celui qui a pitié du pauvre prête à l’Eternel, Qui lui rendra selon son œuvre ». Proverbes 19,17

Ces 3 derniers jours, il était quasiment impossible d’échapper à l’émoi international causé par le décès de la grande star américaine de basket-ball, acteur et rappeur à ses heures perdues : Kobe Bryant. Quelle tristesse d’apprendre la mort tragique du basketteur et d’une de ses filles âgée de 13 ans seulement dans un accident d’hélicoptère. Cet homme, qui a marqué l’histoire du basket, époux, père de 4 enfants, entraîneur d’une équipe féminine junior, rappeur et chanteur, était mondialement connu et reconnu pour son talent, sa simplicité, son humilité et sa générosité. Le monde entier le regrette et le pleure, lui rendant hommage en publiant des photos de lui sur les réseaux sociaux, le tout légendé par un texte ponctué de smileys larmoyants. J’ai aussi été affectée par ce départ prématuré d’un individu de seulement 41 ans et de sa jeune fille à peine sortie de l’enfance, pressentie comme la relève de son père grâce à ses débuts prometteurs en tant que basketteuse. Un décès, même d’un inconnu, est toujours une triste nouvelle surtout lorsque ces inconnus sont des enfants. Je me surprends à penser leur famille, à espérer qu’ils soient morts sur le coup et n’aient pas trop souffert. Mais je ne connaissais pas cet homme. Ni sa petite fille. Et une majeure partie de la population qui le pleure ne les connaissait pas non plus. Alors pourquoi tant d’émotion pour une personne dont on n’est pas proche ? Est-ce de l’empathie pour la famille ? Ou de l’idolâtrie ? Le décès d’une personnalité publique est-il plus important que le décès d’un inconnu ?

Nos émotions

En réalité, le décès d’une personne célèbre entraine une émotion collective entretenue par les médias qui ne cessent de relayer cette information des jours durant et par les réseaux sociaux où chacun y va de son petit mot pour le défunt. De surcroît, tout cet émoi provoque une remontée de souvenirs douloureux de la perte d’un proche chez la plupart des personnes ayant fait cette triste expérience. Expérience malheureuse qui est susceptible de les rendre plus sensibles à ce drame qui pourtant, ne les touche ni de près, ni de loin. Chez d’autres individus, cela provoque l’effet inverse : ils sont presque insensibles au décès d’un inconnu, après avoir perdu une personne qui leur était chère. Mais c’est aussi parce que les célébrités sont considérées par certains comme des figures familiales, que des inconnus s’approprient un deuil qui, d’ordinaire, appartient à la famille et aux proches. J’ai encore en tête les images diffusées à la télévision des fans de Johnny Hallyday, les visages pleins de larmes, hurlant leur douleur lors des obsèques nationales de la star. Ils souffraient réellement de sa perte et portaient vraiment leur deuil ! D’autre part, le deuil collectif renvoie chacun à sa faible condition humaine : nous serons tous confrontés à la mort et ce, peut-être de manière inattendue. Etre fortuné n’y changera rien. Pauvre ou riche, nous y passerons tous. Chaque hiver est meurtrier pour nos sans-abris : près de 500 morts de froid chaque année en France, un chiffre largement sous estimé, selon la fondation Abbé Pierre.

Nos morts

J’ose employer le pronom possessif nos en parlant des sans- abris car en effet, je considère que ce sont les nôtres : certains sont domiciliés et fréquentent nos fraternités, nous les côtoyons, prenons de leur nouvelles, buvons un café ensemble et un jour nous apprenons leur décès, bien souvent, survenu dans la rue. Mais nous ne pleurons pas. Nous sommes tristes, évoquons cette personne avec nostalgie puis on passe à autre chose. Pourtant, nous savons pertinemment que lorsqu’un sans abris meurt de froid, c’est dans d’atroces souffrances, humilié par des conditions de vie indignes et dans l’indifférence de la population. Les médias relaient le nombre de morts de froids plusieurs fois dans l’année mais peu nombreux sont ceux qui leur rendent hommage sur les réseaux sociaux. De la même manière que nous nous levons pour rendre hommage aux personnalités publiques, ne devrions nous pas aussi nous lever pour dénoncer les tristes conditions des personnes sans domicile ? L’énergie que nous employons à pleurer publiquement un défunt célèbre ne serait-elle pas plus utile pour s’indigner de certaines conditions humaines ? Bien-sûr que je regrette Kobé Bryant (certes je ne le connais pas, mais il me donnait l’impression d’être une belle personne), sa fille encore innocente et le reste des passagers de cet hélicoptère. Mais je regrette encore plus nos défunts sans-abris, et surtout je regrette ne pas m’être davantage mobilisée pour eux. Car je les côtoie, contrairement aux célébrités. Ils vivent dans ma rue, contrairement aux célébrités. Ils ont besoin d’un coup de pouce dans la vie, contrairement aux célébrité. Alors je devrais être plus sensible à leur sort à eux.

Laetitia Bastien, équipière-directrice de La Maison Verte (Paris 18e)

En hommage à Jacky, notre ami, notre frère, un époux et un père dont nous garderons à jamais le souvenir d’un homme de cœur qui prenait soin de ceux dans le besoin.