Faire la fête n’a rien de futile ni d’insignifiant. Depuis la nuit des temps, toutes les sociétés ont institué une alternance entre périodes de travail, de production, de gestion sérieuse du quotidien, et moments festifs, temps d’exubérance, de joie, de rires et de chansons. Il ne saurait donc être question de sous-estimer les fonctions sociales, psychologiques et anthropologiques de cette oscillation entre raison et passion : il y a un temps pour travailler et un temps pour danser. Il s’agit d’un invariant universel, d’un fruit de la sagesse des peuples. Alors pourquoi ? Pourquoi chaque culture a-t-elle trouvé judicieux d’adopter un tel rythme ?

D’abord pour répondre à un besoin purement social : afin de maintenir un ordre collectif. Toutes les sociétés, notamment les communautés de petite échelle, particulièrement fragiles, sont menacées par des rivalités, par des tensions internes, qui pourraient mettre à mal l’équilibre instable. Régulièrement, la fête est donc un exutoire, destiné à canaliser l’énergie accumulée au quotidien, à vider le trop-plein d’agressivité, à exprimer la violence sous forme codifiée. On pense bien entendu au carnaval, qui, traditionnellement, était l’occasion offerte à tous de transgresser les normes et les interdits. Mais toute fête est en quelque sorte une déclinaison du carnaval.

L’identité du groupe

La seconde raison, étroitement liée à la première, est liée à la construction de l’identité du groupe : par la fête, le groupe dit qui il est. Il répond à la triple question : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Et où allons-nous ? Cohésion sociale et valorisation de chacun En faisant la fête ensemble, les femmes et les hommes d’une communauté donnée mettent de côté leurs différences pour affirmer leur cohésion : «Toute fête est la fête de l’unité, c’est la célébration de l’unité», disait le philosophe Lanza del Vasto. Unité du nous construite au besoin contre les autres, lorsqu’il s’agit de célébrer une victoire de Coupe du monde ou la fin d’une guerre que l’on a remportée. Unité plus pacifique et plus consensuelle lors des fêtes de la Musique.

Enfin, la troisième fonction de la fête est plus proprement psychologique, ou psychosociale : il s’agit de valoriser chaque individu, chaque membre du groupe. Des facettes méconnues de la personnalité de tel ou tel de nos amis, de nos voisins, s’expriment alors : celui qui était totalement inhibé dans la vie quotidienne se révèle aux autres… et à lui-même. La créativité est à l’honneur, et chacun est apprécié pour ce qu’il apporte à la fête, pour ce qu’il donne, et finalement pour ce qu’il est. C’est l’estime de soi qui se trouve affermie, en même temps que se dit l’estime de l’autre : «Merci à toi pour ta contribution, pour ta présence, pour le cadeau que tu représentes en participant avec nous à la fête !»

Et chez les chrétiens ?

Les trois fonctions de la fête mentionnées plus haut concernent aussi les fêtes chrétiennes. Mais elles se trouvent en quelque sorte «évangélisées». La fête est tout d’abord la manifestation d’une tradition qui structure la vie chrétienne : c’est pourquoi Noël est préparée par l’Avent, Pâques par le Carême, afin que l’expression des émotions, de la tristesse, de la culpabilité et de la joie, soit le produit d’un travail intérieur. Le calendrier liturgique répond à une fonction anthropologique universelle, liée aux solstices et aux équinoxes, mais transfigurée par la référence au Christ. La fête chrétienne est ensuite l’occasion d’affermir l’identité de l’Église, par la commémoration de l’œuvre de Dieu. Les chrétiens rendent compte de ce qu’ils sont en se souvenant de ce que le Dieu de Jésus-Christ a fait pour eux.

La fête, une action de grâce

C’est parce qu’ils savent que Dieu a tant aimé le monde que la fête est pour eux avant tout action de grâce. En se réjouissant ensemble, à l’occasion d’un baptême, d’une confirmation ou d’un mariage, les chrétiens attestent leur foi en un Dieu trinitaire, qui fait d’eux un seul peuple dans la diversité des chemins propres à chacun. Enfin, chez les chrétiens, la fête est le moment privilégié pour mettre en œuvre l’amour des uns pour les autres. Chacun est reconnu comme une personne singulière, irremplaçable et infiniment aimée de Dieu, sans condition. En offrant à chacun une place éminente dans la fête, il s’agit de lui montrer qu’il a du prix à nos yeux, parce qu’il en a un, incommensurable, aux yeux de Dieu. Et souvenons-nous que c’est à un festin qu’est comparé le Royaume qui nous est promis