Le souverain s’éveille. Oh, bien sûr, il ne dormait que d’un œil, délégant son pouvoir à des représentants, distribuant, quand cela lui chantait, coups de patte et grondements. Mais pour l’élection que l’on dit reine, il ne laisse à personne d’autre le soin de décider. Dimanche, de huit heures à vingt heures, le peuple, cette entité que Michelet considérait comme le dépositaire de notre âme collective et que de Gaulle estimait seule source de légitimité politique, oui, le peuple va parler. Le bas bruit qui secoue notre fin de campagne fait craindre le pire. Mais le pire n’est jamais sûr. Alors, plutôt que nous rassurer- les protestants n’ont pas pour inclination de singer les autruches- nous avons sollicité l’avis d’un expert. Et vogue la galère ? Enfin, presque…

« Plus encore que les élections précédentes, cette campagne électorale a vu se multiplier les instruments de mesures de l’opinion, les interventions publiques, analyse Nicolas Roussellier, professeur à Sciences-po et auteur- les lecteurs de ce blog aujourd’hui le savent bien, d’une somme formidable : « La force de gouverner » (Gallimard, 830 p. 34,50€). Tout est fait pour attirer les citoyens vers les urnes. Si le taux d’abstention se révélait plus élevé que d’habitude, on pourrait en déduire qu’il est plus que l’expression d’un désamour ou d’une indifférence abyssale, mais la manifestation d’un choix politique. »

Un grand nombre de commentateurs, dans le droit fil de ce qu’ont dit certains candidats, soulignent que la campagne présidentielle ne s’est pas déroulée normalement, escamotée par la guerre en Ukraine.

« Je ne suis pas certain que la joute électorale ait été mise entre parenthèse, nuance Nicolas Roussellier. Quelle campagne a-t-elle été perçue, pendant son déroulement, comme efficace et structurante? En, réalité, les Français, parce qu’ils sont un peuple très politique, attendent toujours beaucoup des candidats, des programmes et des perspectives qu’ils dessinent. Une telle exigence les entraîne toujours à déclarer que la campagne électorale n’est pas la hauteur de leurs espoirs, à exprimer leur frustration, leur mécontentement, Mais cette exaspération fait partie de la dispute nationale et ce n’est qu’après l’élection que chacun jette une lumière rétrospective sur les événements. »

Devons-nous regarder cette élection présidentielle comme banale ? Evidemment non. C’est même, d’une façon paradoxale, le sentiment de continuité qu’elle diffuse qui la rend si particulière. En effet la plupart des candidats en présence, Eric Zemmour excepté, se sont déjà présentés. Certes, Valérie Pécresse est également nouvelle venue, mais la façon dont elle occupe le champ du débat rappelle tant la méthode suivie par François Fillon qu’elle en perd toute originalité.

« L’impression de revivre la même bataille ne peut pas générer beaucoup de désir, explique Nicolas Roussellier. Ceci étant posé, si la campagne glisse entre nos doigts comme un savon, cela tient aussi aux effets de la pandémie. Chacun s’est recentré sur sa sphère privée, cherchant dans le télétravail un chemin pour repenser ses activités professionnelles, améliorer sa vie intérieure. Il n’y a là rien de choquant, mais cela pèse évidemment sur notre vie politique et cela permet de comprendre le désenchantement qui frappe nos concitoyens. »

Ici même- si l’on ose écrire pour un texte mis en ligne…- on a dit l’importance que la guerre pouvait avoir sur le cours de la campagne électorale. On pourra donc en toute tranquillité faire observer qu’Emmanuel Macron ne bénéficie plus de l’élan patriotique dont le gratifiaient les sondages au début du mois de mars. Il est possible que le président n’ait à s’en prendre qu’à lui-même. Alors que les intentions de vote en sa faveur atteignaient voici quelques semaine presque 32 %, le candidat de La République en Marche a déclaré qu’il voulait reporter l’âge de départ à la retraite à 65 ans, laisser penser qu’il conditionnerait l’attribution du RSA à l’exercice d’une activité, deux propositions dont on sait qu’elles sont rejetées par un grand nombre de nos concitoyens – et pas seulement parmi les électeurs de gauche.

« On peut penser qu’Emmanuel Macron a été rattrapé par l’hubris, la démesure qu’engendre la satisfaction de soi-même, admet Nicolas Roussellier. Cette manière d’agir entre en consonance avec l’idée qu’il se sait tellement doué qu’il peut verser dans la désinvolture. Mais ce comportement de joueur pourrait se retourner contre lui, faire naître un tsunami de dernière minute. »

Encore une fois, le pire n’est jamais sûr. Mais il frappe à la porte : jamais l’extrême droite n’a été aussi puissante à l’approche du premier tour d’une élection présidentielle. Et nous devons rappeler que le fameux débat télévisé qui précède le second tour n’a jamais modifié la donne électorale- à rebours de ce que nombre de gens croient. C’est le résultat du premier tour qui détermine un rapport de force, une dynamique, et crée les conditions d’une victoire. On vous aura prévenus.