Le nouveau système des retraites proposé  par le gouvernement est présenté  comme une réforme nécessaire pour plus de justice. Mais de quelle justice parle-t-on ?  Le mot est rhétorique et il est judicieux de l’utiliser pour donner plus de crédibilité à une action. Cependant, lorsqu’on gratte un peu le vernis incantatoire du mot justice, on découvre en dessous des réalités fort différentes. Et il convient de s’interroger sur les critères qui permettent de mesurer ce qui est juste ou ce qui l’est moins.

Pour le gouvernement, le système de retraite sera juste s’il permet à chacun-e de toucher une pension qui sera proportionnelle à ce qu’il aura gagné. Ainsi, la part belle est faite aux plus riches. En effet, il a été décidé de baisser drastiquement le plafond de la cotisation commune à tous. Seuls les salaires allant jusqu’à 10 000 euros brut par mois (au lieu des 27000 dans le système actuel) seront concernés par la nouvelle cotisation de 28,12 %. Au-delà, la cotisation ne sera plus que de 2,8 %. Elle donne ainsi aux plus riches l’opportunité de participer beaucoup moins à la solidarité nationale afin de pouvoir se payer à côté une retraite complémentaire par capitalisation. Par conséquent, la justice invoquée ici s’appelle en réalité « individualisme » ; elle est basée sur les mérites et la chance que chacun parviendra tout au long de sa vie à capitaliser ou pas.

Il n’est pas difficile d’imaginer un système qui soit véritablement plus juste entre les uns et les autres, c’est-à-dire qui contribue à réduire les inégalités entre riches et pauvres. On peut espérer en effet que les inégalités de revenus pendant la vie active ne soient pas amplifiées au moment de la retraite par des pensions encore plus inégales.

Dans la bible, le texte de Lévitique 25 nous offre un bel exemple de remise des compteurs à zéro périodiquement. Le principe est simple ; il consiste à effacer toutes les dettes  tous les cinquante ans, et plus largement à abolir les inégalités qui se sont creusées au fil du temps entre les uns et les autres, inégalité de patrimoines ou de revenus ou de statut. Même si les historiens n’ont encore pas trouvé de trace de la mise en œuvre d’un tel programme, ce récit peut être source d’inspiration pour aujourd’hui, par exemple dans le calcul des retraites.

Dans le calcul des retraites, on pourrait tenir compte de l’espérance de vie dont nous savons qu’elle est inégale selon les professions. La durée de retraite est en moyenne de dix ans pour certaines  catégories d’ouvriers,  alors qu’elle est de vingt ans pour certaines catégories de cadres. Certaines professions sont davantage exposées à la pollution ou à des substances chimiques qui nuisent à la santé.  D’autre part, le critère de la pénibilité au travail est insuffisamment pris en compte dans la réflexion.

Les chantres de cette nouvelle réforme des retraites invoquent un problème de financement du système actuel qui pourrait survenir en 2025. Est-ce que cela justifie pour autant de revoir à la baisse la solidarité entre riches et pauvres ?  Bien au contraire, c’est en  la renforçant par une cotisation  qui s’appliquera aussi aux tranches de revenus les plus élevées, que l’on pourra alors parler véritablement  de justice sociale.