L’archaïsme et la modernité se combinent à la rentrée. Qu’elle se parfume d’ardoise ou de craie, de plastique ou de feutrine, une salle de classe exhale toujours un peu de notre enfance, et pourtant c’est bien d’avenir qu’il s’agit, puisque l’Éducation Nationale se donne pour mission de transmettre le savoir à de nouvelles générations.

Ministre depuis le printemps 2017, Jean-Michel Blanquer a promis dans les colonnes du Journal du dimanche d’organiser un Grenelle des professeurs. On ne peut s’empêcher de s’amuser de la postérité de cette formule, référence à la négociation de crise organisée par le Premier ministre George Pompidou avec les représentants des syndicats, du 25 au 26 mai 1968, alors que la contestation menaçait le régime gaulliste. Mais passons, tel n’est pas notre propos. Soulignons plutôt le changement de priorités.

Depuis plus de trente ans, ce sont les jeunes que le système éducatif prétendait placer au cœur de ses préoccupations. Rompant avec la tradition qui donnait la prééminence aux maîtres et posait les termes d’une autorité verticale indiscutable, nombre de théoriciens de la pédagogie avaient en effet convaincu les ministres successifs de mettre en œuvre une pratique plus démocratique de l’enseignement. De cette révolution copernicienne, ont surgi nombre d’invectives, et, comme toujours en pareil cas, les caricatures mutuelles et réciproques n’ont pas manqué. Les uns n’ont pas cessé de condamner le laisser-aller d’une pensée libertaire, prôné le retour à un ordre ancien d’autant plus sublime qu’ils le grimaient en idéal, tandis que les autres hurlaient au loup de la dictature dès que des professeurs ou des parents débordés réclamaient un brin de discipline. Ici comme ailleurs, le modèle scandinave a été convoqué, selon des termes équivalents de mauvaise foi : système tout à la fois naïf et mollasson d’un côté, projet lumineux, presque parfait de l’autre.

Au cœur de ce débat, les protestants tiennent une place importante et, comme il est d’usage, discrète. Est-il encore nécessaire de le rappeler ? Mais oui, faisons-nous le plaisir de redire à nos concitoyens comme le protestant Ferdinand Buisson fut l’âme de l’École publique obligatoire instituée par la Troisième république. Inspecteur général, plume de Jules Ferry, notre bonhomme a conçu les programmes sur lesquels des des générations de Français furent instruits. Aux âmes égarées, conseillons la lecture ou la consultation de son Dictionnaire de pédagogie réédité voici trois ans dans la collection Bouquins (1056 p. 32 €). « A qui voudrait saisir, dans toute la rigueur de son enchaînement, mais aussi dans l’infinie richesse de ses constellations, le lien absolu qui unit tout droit la Révolution à la République, la République à la raison, la raison à la démocratie, la démocratie à l’éducation et qui,  de proche en proche, fait donc reposer sur l’instruction primaire l’identité même de l’être national, écrivit l’historien et éditeur Pierre Nora, on conseillerait en définitive un ouvrage et, s’il fallait n’en élire qu’un seul, celui-ci. »

Durant le Front Populaire, c’est encore un protestant qui libéra les énergies, conjuguant le sport et la culture au sein du grand ministère dont il avait la charge. Attentif au bien être des élèves sans jamais verser dans la complaisance, Jean Zay, chacun l’a reconnu, promut le modèle d’une école égalitaire, offrant les mêmes chances à tous les jeunes. Enfant de l’école du dimanche et de la Bible, Jean Zay croyait profondément que la connaissance devait être accessible à tous.

De nos jours encore, les protestants se battent en faveur d’une éducation de qualité mise au service du plus grand nombre. Alors, oui bien entendu, ces mots ronflants masquent parfois des échecs, des illusions perdues dans les larmes du chahut, dans le chaos des quartiers où règnent le crime et la drogue. Mais les associations comme les professionnels de l’Éducation se mobilisent avec détermination, courage. Quand le philosophe et protestant Philippe Gaudin, directeur de l’Institut Européen en Sciences des Religions, multiplie les interventions auprès des professeurs et des instituteurs, il écoute autant qu’il parle, mais il affirme avec conviction les principes de la laïcité, sans démagogie.

Qu’en sera-t-il de ce fameux « Grenelle des professeurs » ? Jean-Michel Blanquer a fixé trois objectifs à la consultation qu’il entend mener: « D’abord, la reconnaissance financière. Ensuite, la coopération. Il faut promouvoir l’esprit d’équipe. Nous devons combattre l’individualisme et la solitude, c’est particulièrement vrai dans l’Éducation nationale. J’invite les représentants des parents, des élèves et des enseignants à avoir un discours constructif sur l’école. Enfin, l’ouverture: nous devons moderniser notre système. »  Nul doute que les protestants participeront à cette ambition collective. Ils vont, comme toujours, retrousser leurs manches pour faire valoir le bien commun. Car, ainsi que l’attestent les images qui suivent, il faut beaucoup travailler pour donner l’impression de s’amuser.