L’apôtre Paul, une figure centrale du christianisme et de la pensée occidentale, demeure un personnage très controversé pour certains. Sa trajectoire, marquée par une transition radicale au sein du judaïsme, incarne la quête d’une réconciliation entre la loi et la grâce, explique Elian Cuvillier, professeur de théologie pratique à l’Institut protestant de théologie de Montpellier (IPT). Né Saul de Tarse, Paul appartenait à un courant pharisien du judaïsme du Ier siècle, un judaïsme strict, voire intégriste, qui mettait l’accent sur l’obéissance rigoureuse à la loi. Ce judaïsme était bien loin de la vision chrétienne qu’il allait défendre, après une rencontre mystérieuse avec Jésus, qu’il rejetait alors. Cette conversion ne marque pas simplement un changement religieux, mais aussi une profonde transformation spirituelle et théologique.

Paul se distingue par son idée que la justification ne réside pas dans l’obéissance aux œuvres de la loi, mais dans la foi en Christ. Ce message remet en cause l’importance des rituels et des règles du judaïsme, telles que la circoncision ou le sabbat. Pour lui, c’est en s’ouvrant à la grâce divine, en s’abandonnant à une relation personnelle avec Dieu, qu’on accède à la rédemption. Ce changement de perspective est d’autant plus radical qu’il remet en cause l’autorité religieuse et sociale de son époque, notamment à travers une critique des normes de pureté et des catégories de « pur » et « impur. »

La trajectoire suivie par Paul, bien que fidèle aux enseignements de Jésus, n’est pas exempt de discontinuités. Jésus, prédicateur radical qui interrogeait les mœurs religieuses de son temps, n’avait pas l’ambition de fonder une nouvelle religion, tandis que Paul, de par son rôle de missionnaire et d’organisateur, jettera les bases d’une institution chrétienne. Cependant, les enseignements de Paul comportent une tension entre la pureté religieuse qu’il prône et l’humanité imparfaite qu’il rencontre. Le christianisme tel qu’il le conçoit va au-delà des divisions de son époque, en reconnaissant la dignité de tous, sans distinction entre esclaves et libres, hommes et femmes.

Ce message subversif, pourtant marqué par des paradoxes et des contradictions, résonne encore aujourd’hui. Il invite à une réflexion sur les dérives inhérentes à toute forme de religion ou d’idéologie, qui tendent à l’autojustification identitaire, parfois en rejetant l’autre. Paul, à travers sa théologie et ses injonctions éthiques, propose une remise en question des codes établis, non seulement religieux mais aussi sociaux. En fin de compte, son message demeure pertinent, car il incite à repenser continuellement nos pratiques et nos certitudes au regard de l’Évangile du Christ crucifié.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Journalistes : Jean-Luc Mouton, Antoine Nouis
Intervenant : Elian Cuvillier