Introduction
Dans la méditation de la semaine dernière, nous avons dit que Jésus faisait de la théologie à coups de marteau en invitant ses interlocuteurs à manger sa chair – être anthropophages – et boire le sang, ce qui est la transgression de l’interdit qui fonde les prescriptions alimentaires. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver dans la séquence d’aujourd’hui une parole qui est unique dans les évangiles : des disciples quittent Jésus. Il va nous falloir comprendre ce qui est si dur dans ces paroles pour justifier une telle séparation.
Points d’exégèse
Attention sur deux points.
Titre : L’occasion de chute
Une cause de chute, le verbe utilisé (skandalizô) a donné scandale en français. Le skandalon est la pierre d’achoppement, le caillou qui est au milieu du chemin, sur lequel on bute et qui fait tomber. Dans les évangiles, l’image d’une pierre d’achoppement est souvent utilisée pour évoquer le ministère de Jésus, nous l’avons déjà rencontrée dans le récit de la prédication à Nazareth.
La foi est parfois une question clivante. Il y a une part de folie dans le fait de croire en Dieu. À un moment, il faut faire le saut, le pari de la confiance : il y a ceux qui le font et ceux qui restent toujours sur le bord du chemin.
Titre : Encore la vie éternelle
Lorsque Jésus demande à ses disciples s’ils ne veulent pas aussi le quitter, Pierre répond : « À qui irions-nous ? Tu as des paroles de vie éternelle. » Les disciples ont entendu la parole de Jésus qui dit que celui qui mange sa chair a la vie éternelle. Cette parole, pierre d’achoppement, fait fuir les uns et vivre les autres.
Rappelons que la vie éternelle, ce n’est pas la vie perpétuelle, mais une vie ancrée dans l’éternité de Dieu. Les disciples ont fait le choix de la confiance radicale, même s’ils ne comprennent pas tout, même s’ils sont souvent surpris par celui qu’ils ont décidé de suivre, ils savent au fond d’eux que la parole de l’Évangile est une parole de vie, et qu’elle mérite qu’on y attache sa vie.
Pistes d’actualisation
1er thème : La non-foi de certains
Jésus dit à ses disciples : « Il en est parmi vous quelques-uns qui ne croient pas. » Pourtant ce sont des disciples ! On comprendrait que Jésus dise qu’ils croient mal, ou qu’ils croient peu, mais comment ose-t-il dire qu’ils ne croient pas ? Il continue sa prédication à coup de marteaux.
Dans les évangiles, Jésus dit d’un centurion romain que jamais il n’a trouvé une telle foi (Mt 8.10) et d’une femme cananéenne que sa foi est grande (Mt 15.28), mais il dit des disciples qu’ils n’ont pas la foi. Jésus bouleverse notre compréhension de la foi. Ce n’est pas une question d’étiquette, ce n’est même pas une question de pratique, mais de confiance radicale.
2e thème : Une parole dure, difficile à entendre
Nous avons dit que la parole difficile à entendre était l’appel à manger la chair de Jésus, à boire son sang. Une autre hypothèse repose sur l’architecture du chapitre. Pour l’entendre, il nous faut faire un zoom arrière et relire l’enchaînement des séquences.
Jésus multiplie les pains – la foule est séduite et veut le faire roi – Jésus s’esquive et traverse le lac dans la nuit – la foule le rejoint et lui demande un signe – Jésus répond que le signe c’est sa personne, son corps donné, son sang versé – des disciples quittent Jésus. On peut poser l’hypothèse qu’ils quittent Jésus parce qu’ils sont déçus par son discours sur le pain de vie. Ils voulaient un messie qui les conduit à la victoire, ils ont en face d’eux un Christ qui se présente sous la forme d’un morceau de pain, d’une nourriture pour la vie éternelle.
3e thème : Personne ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père.
Souvent la foi est décrite comme un don. Pourquoi est-ce que je crois alors que mon frère qui a reçu la même éducation que moi reste sur le bord de l’évangile ? Il n’y a pas d’explication, mais deux conséquences.
D’abord cela me conduit à l’humilité. Si la foi est un don, je n’ai aucun mérite, et je n’ai surtout par le droit de juger celui qui suit un autre chemin. Je n’ai qu’une chose à faire ; rendre grâce.
Ensuite, cela m’oblige. Si le Père m’a donné d’aller à Jésus, ce n’est pas pour profiter de ce don, mais pour le faire fructifier en étant témoin de l’évangile, par ma vie et par ma parole.
Une illustration : la prédestination ?
Lorsque Jésus dit que la foi est donnée par le père, il nous invite à considérer tout ce que nous avons de foi comme un don de Dieu. On a posé la question au cardinal Etchegaray de savoir pourquoi il était chrétien, il a répondu : « Pourquoi suis-je chrétien ? Drôle de question ! J’ai envie de répliquer : Aller le demander au Christ lui-même ! C’est lui qui m’a saisi. Moi, je me suis laissé faire. J’ai beau m’évertuer à assumer en adulte le baptême de mon enfance, je ne cesse de voir que c’est Lui, toujours Lui qui fait le premier pas vers moi, le pas de l’amour, le pas du pardon. Et moi, même cardinal, je ne fais que sauter de joie, comme un gosse qui sort de l’eau, tout ruisselant de soleil. »
Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis éclaire le texte biblique de Jean 6, 60-69 :
Production : Fondation Bersier
Intervenant : Antoine Nouis