12.03.2023 : Jn 4.5-42 – La Samaritaine

Le cheminement d’une étrangère

Introduction

La singularité de l’évangile par rapport au judaïsme de son époque est l’ouverture du salut de Dieu aux non-juifs. La première personne étrangère touchée par l’évangile est la Samaritaine que Jésus a rencontrée près de la source de Jacob. La rencontre n’a pas été vaine puisque le dernier verset met dans la bouche des Samaritains la confession selon laquelle Jésus est le sauveur du monde.

Points d’exégèse

Attention sur deux points.

Le champ que Jacob avait donné à Joseph

Le texte nous dit que la rencontre entre Jésus et la Samaritaine a eu lieu près du champ que Jacob avait donné à son fils Joseph. L’évocation de Joseph n’est pas anodine. Le personnage représente dans la pensée rabbinique le Juif qui a réussi en diaspora puisqu’il est devenu le principal ministre du pharaon. Jacob-Israël était le père de Juda qui représente le judaïsme sioniste, et de Joseph qui représente le judaïsme universel. Le lieu de la rencontre entre Jésus et la Samaritaine, le champ que Jacob avait donné à Joseph, est emblématique de la scène qui s’y déroule.

Une Samaritaine mal mariée

Lorsque l’Évangile propose cette ouverture, il pourrait le faire par le truchement d’un sage ou d’un homme particulièrement pieux ou généreux. Au lieu de cela, il parle de la rencontre de Jésus avec une femme, samaritaine, marginalisée dans sa propre communauté à cause de sa conjugalité.

La Samaritaine était une femme et il était inconvenant pour un homme de s’adresser à une femme en l’absence de son mari.

L’étrangère était samaritaine et les Samaritains étaient particulièrement méprisés par les Juifs car ils avaient dénaturé la Torah et s’étaient mélangés avec d’autres populations.

La femme samaritaine était marginalisée dans sa propre communauté puisqu’elle va puiser de l’eau à l’heure la plus chaude de la journée alors que c’est le matin, ou le soir que les femmes se retrouvent autour des puits. Sa marginalisation vient probablement de sa situation conjugale puisqu’elle a multiplié les maris.

Jésus entre en relation avec cette femme étrangère en lui demandant un service : Donne-moi à boire. Comme souvent dans le Nouveau Testament, c’est par le bas, chez les personnes méprisées de la bonne société que l’Évangile se répand.

Pistes d’actualisation

1er thème : Rencontre autour d’un puits

La rencontre entre Jésus et la Samaritaine a eu lieu autour d’un puits. Dans les plaines d’Égypte et d’Assyrie, l’irrigation se fait par canalisations ; dans les régions désertiques, elle se fait par forage, d’où l’importance des puits dans la Bible. Dans le Premier Testament, ils sont des occasions de rencontre.

C’est autour d’un puits que l’envoyé d’Abraham a rencontré Rébecca qui est devenue la femme d’Isaac. C’est au bord d’un autre puits que Moïse a rencontré sa femme Séphora qui était aussi étrangère puisqu’elle était la fille d’un prêtre de Madian.

Dans la Bible, les puits sont des symboles de féminité, et en hébreu le mot puits signifie aussi explication, élucidation, interprétation. Le puits de la parole symbolise le sens. Les récits qui se passent autour des puits sont souvent porteurs d’un message spirituel.

2e thème : Dépassement des lieux religieux

Lorsque la femme voit que Jésus n’est pas un simple passant, mais un prophète, elle lui pose la question centrale qui oppose les Juifs et les Samaritains : Nos pères ont adoré sur cette montagne ; vous, vous dites que le lieu où il faut adorer est à Jérusalem. Cette question correspond à un conflit de lieux sacrés : le sacré pour les Samaritains est le mont Garizim et pour les Juifs le temple de Jérusalem. Dans sa réponse, Jésus dépasse cette opposition : L’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne ni à Jérusalem que vous adorerez le Père… l’heure vient où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité.

Le changement de catégorie entre une religion qui passe par des lieux sacrés et une religion qui s’enracine dans le cœur des adorateurs correspond à cette ouverture de l’Évangile. Depuis ce verset, la sacré n’est plus un espace, mais le cœur, l’intime, des adorateurs.

3e thème : Le salut vient des Juifs (v.23)

Cette intériorisation du sacré est suivie de l’affirmation selon laquelle le salut vient des Juifs. Elle nous rappelle que le salut s’inscrit aussi dans une histoire qui a commencé il y a des milliers d’années avec un homme appelé Abraham. Cette histoire est notre héritage : Nous sommes enfants d’Abraham. La foi s’inscrit dans un héritage, une tradition et elle s’exprime par une intériorisation de la parole.

Lorsque nous perdons cet héritage, la foi un spiritualisme qui se conforte aux idées du moment. Thomas Merton a dit : « Lorsque l’Église se coupe de ses racines juives, elle devient un système de pensée théologique ou philosophique, elle défend alors un christianisme grec, allemand, ou autre. » 

Lorsque nous perdons cette intériorisation, la foi devient un ritualisme desséché.

Une illustration : Le poids de la reconnaissance

L’évangile dit que le salut vient des Juifs et l’Église dans son histoire a trop longtemps persécuté les Juifs. Comment comprendre après un tel verset des siècles d’antisémitisme théologique ?

Une des comédies les plus célèbres du répertoire du vaudeville, pourrait nous aider à réfléchie, Le voyage de monsieur Perrichon d’Eugène Labiche. Elle décrit un bourgeois suffisant et rusé qui part en vacances en Suisse avec sa fille unique et deux prétendants. Lors d’une excursion en montagne, monsieur Perrichon se trouve en difficulté sur un glacier et il est sauvé par l’un des prétendants. Un peu plus tard, il sauve lui-même le second prétendant qui a simulé une difficulté pour permettre à son sauveur de se mettre en valeur. Monsieur Perrichon méprise son sauveur pour trouver toutes les qualités à celui qu’il a sauvé. Lorsque les deux prétendants se retrouvent, le second fait partager son analyse de la situation au premier : « Un imbécile est incapable de supporter longtemps cette charge écrasante qu’on appelle la reconnaissance. » 

Pour aller plus loin :
Le théologien Antoine Nouis reçoit Amos-Raphaël Ngoua Mouri, pasteur de l’Eglise protestante unie de France, pour discuter de Jean 4, 5-42 : https://regardsprotestants.com/video/bible-theologie/jesus-et-la-samaritaine/

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Intervenant : Antoine Nouis