La mort est un mystère

Sur la mort, on ne peut qu’approuver ce que disait le philosophe Épicure :

« De la mort, on ne peut rien dire, car tant que nous sommes vivants nous ne sommes pas morts, donc nous ne la connaissons pas ; et lorsque nous sommes morts, nous ne pouvons plus en parler, donc nous ne pouvons rien en dire.

Comment ne pas approuver cette règle toute simple en disant qu’il y a une sorte d’impasse à penser la mort ? En effet, si l’on pense c’est que l’on est vivant et il est difficile de penser qu’on n’est pas. Penser c’est un mode d’expression. Il est difficile de penser l’absence, de penser le rien, de penser le néant ou de penser ce qui  est de l’ordre de l’inconnaissable.

C’est une barrière infranchissable

Les humains en eux-mêmes ont toujours eu la curiosité de vouloir abattre les barrières. C’est vrai que, de tout temps et aujourd’hui encore, on entend des expériences sur ce qui se passe au-delà de la mort. Ce sont les expériences de mort imminente, ce sont les récits de personnes qui communiquent avec les morts, ce sont les médiums, ce sont toutes ces idées sur les anges gardiens, sur une présence mystérieuse des morts à nos côtés, qui se sont développés.

De toutes ces expériences et prémonitions, que pouvons-nous dire ?

En tant que théologiens, on va interroger la Bible et notre première surprise c’est de voir que la Bible est assez ambivalente dans son discours sur la mort.

D’une part, il y a l’affirmation, dans la Bible, que le nom du lieu où l’on va après la mort c’est le shéol. Le shéol, donc, c’est le lieu de la mort. Il y a toute une veine dans la Bible, notamment dans certains psaumes, qui dit que le shéol c’est le lieu où Dieu n’est pas. Dans les Psaumes, on trouve plusieurs versets qui disent : « Dans le séjour des morts, nul ne peut te louer ». La représentation qui est là derrière est une représentation assez commune de nos jours, qui consiste à dire qu’à la mort on tire le rideau et notre corps retourne à la poussière.

On a été et maintenant on n’est plus .

C’est pourquoi dans la Bible, souvent, il y a une telle importance à avoir une descendance. Parce que la descendance est ce qui nous fait survivre. La personne défunte survit à travers la mémoire de ses descendants.

Pour illustrer cette compréhension-là, le sage Colette a dit la chose suivante :

« Le sort des humains et le sort de la bête ne sont pas différents. L’un meurt comme l’autre, ils ont tous un même souffle et la supériorité de l’humain sur la bête est nulle car tout n’est que futilité, tout va dans un même lieu, tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière ». La mort, c’est le retour à la poussière.

Dans les Psaumes on trouve une autre veine : cette intuition du fidèle qui dit qu’il ne sera pas abandonné dans le séjour des morts. Donc, il y a l’apparition d’une croyance ou d’une espérance qu’au-delà de notre vie il y a encore une vie en Dieu.

Nous trouvons la plus belle expression de cette deuxième veine dans le livre de Job, cet homme qui était accablé par les épreuves, qui dit ne pas comprendre ce qui lui arrive et qui, tout à coup, pousse un cri de révolte, de colère, contre le mal qui l’écrase et qui s’abat sur lui. Job crie en disant « Je sais bien, moi, que mon Rédempteur est vivant, qu’il se lèvera le dernier sur la poussière. Après que ma peau aura été détruite de ma chair, je verrai Dieu ».

Donc, il y a cette espérance que ce monde est un monde qui est traversé par le mal et par l’injustice et que, quelque part, il existe en Dieu une justice au-delà de notre vie. Cette ambivalence entre le retour à la poussière ou une poursuite en Dieu au-delà de notre existence se retrouve au temps de Jésus dans l’opposition entre les sadducéens et les pharisiens.

Les sadducéens, qui étaient au temps de Jésus l’aristocratie du temple (notamment les prêtres), s’en tenaient à la Torah, les 7 premiers livres de la Bible. Ils ne croyaient pas en la résurrection. Ils pensaient, avec une espèce de lucidité radicale dans leur compréhension, qu’à la fin de notre existence on tirait les rideaux, et l’histoire était terminée.

Alors que les pharisiens, qui s’appuient sur le reste de la Bible, et surtout sur la tradition orale, sont témoins de cette évolution qui considère qu’il existe encore une possibilité de vie en Dieu au-delà de notre existence.

Dans le Nouveau Testament, cette espérance portée par les pharisiens est tout à coup confortée, confirmée, par un événement radical qui est la résurrection du Christ. Et la résurrection du Christ, pour Paul par exemple, c’est vraiment une cassure dans l’histoire de l’humanité. Il y a un avant, il y a un après. Et par la résurrection, il y a quelque chose qui est de l’ordre de la victoire sur la mort, qui a été vaincue.

Paul ne dit pas que la mort n’existe pas

Paul ne dit pas, que la mort n’est pas douloureuse ou ne peut pas être parfois effrayante. Mais il dit que le pouvoir de la mort est brisé, que la mort est vaincue. C’est le grand cri de Paul dans la première épître aux Corinthiens quand il dit : « La mort a été engloutie dans la victoire » (la victoire, c’est la victoire de la résurrection) et Paul poursuit en disant : « Mort, où est ta victoire, où est ton aiguillon ? ». C’est-à-dire que la mort ne peut plus venir nous perturber. Il y a cette annonce qu’un événement nouveau est arrivé et que, à partir de la résurrection du Christ, nous pouvons comprendre autrement notre rapport avec notre propre finitude. Il y a cette idée que, de même que nous pensons que notre vie est précédée par le désir de Dieu, au-delà de notre mort notre vie est accueillie dans l’amour de Dieu.

Et cet accueil est exprimé à travers cette notion de résurrection.

Qu’en est-il de nos morts et que pouvons-nous dire sur ces apparitions ?

Maintenant que nous avons fait ce petit cadrage biblique, je voudrais revenir à la question posée au commencement : qu’en est-il de nos morts et que pouvons-nous dire sur ces apparitions, ces gens qui disent qu’ils ont eu des révélations, qui communiquent avec les morts ?

Bibliquement, nous pouvons d’abord dire que nous comprenons cette espèce de surenchère ésotérique. On a un tel désir de vouloir garder un peu de lien avec celui ou celle qu’on a aimé et qui nous a quittés ! Par rapport à cela, il faut dire qu’il y a, de la part de la Bible, un interdit. On le trouve notamment dans le livre du Deutéronome qui dit : « Qu’on ne trouve chez toi personne qui se livre à la magie, qui cherche des présages, qui pratique la divination ou la sorcellerie, qui jette des sorts, qui interroge les spirites ou les médiums, qui consulte les morts ». Cela veut dire quoi ? Cela ne veut pas dire que ça n’existe pas (d’ailleurs, les médiums ça existe). Mais la Bible semble dire « Ne le fais pas, car ce n’est pas bon pour toi ».

Et l’exemple emblématique, dans la Bible, c’est l’histoire du roi Saül. Le roi Saül, à la fin de sa vie, au moment où il va livrer une bataille, est angoissé sur le sort de cette bataille. Et bien qu’il ait fait paraître un décret dans le pays interdisant la consultation des morts, il ne peut pas s’empêcher, lui, d’aller consulter une nécromancienne pour lui demander de faire revenir du séjour des morts le spectre de Samuel (qui est mort quelque temps avant) afin de l’interroger sur l’issue de la bataille. La nécromancienne hésite un peu puis finit par céder. Elle fait revenir Samuel du séjour des morts et, là, le spectre de Samuel dit à Saül : « Mais d’abord, pourquoi me déranges-tu ? Pourquoi me fais-tu revenir ? ». Et il lui dit : « Puisque c’est comme ça, je te l’annonce, dans cette bataille tu périras, toi et tes fils. Évidemment, pour Saül c’est un peu comme un coup de poignard et d’avoir cette annonce qu’il mourra dans la bataille ce n’est pas la meilleure façon d’engager le combat. Effectivement, l’annonce s’est réalisée et Saül est mort. On voit comment cette consultation a aussi une odeur de mort et a entraîné Saül probablement dans cette spirale.

En écho avec cette compréhension là, on peut aussi, par exemple, évoquer le verset de l’Évangile dans lequel Jésus dit : « Laisse les morts ensevelir les morts et toi va annoncer le règne de Dieu ». C’est à dire : n’essaie pas de rentrer dans cette démarche de consultation des morts, laisse ça de côté et, toi, va annoncer le royaume de Dieu, c’est-à-dire retourne à la vie.

On peut aussi, par exemple, évoquer la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare : le riche qui faisait bombance, qui faisait la fête tous les jours et qui ne voit pas le pauvre Lazare qui est assis à la porte de sa maison. Et puis ils meurent tous les deux. Un fossé est entre les deux et le mauvais riche dit à Lazare : « Si j’avais su que ce serait ça ! (il souffre dans les tourments). Envoie l’un de mes frères pour leur dire qu’ils se comportent autrement ». Et Lazare interroge Abraham qui lui répond : « Ils ont la loi et les prophètes. Cela leur suffit ». C’est-à-dire que plutôt que d’essayer une quête, de consulter les morts, tout est dans la loi et les prophètes. Et nous sommes donc ramenés à notre responsabilité humaine.

Néanmoins, ces expériences existent. J’ai rencontré, dans mon ministère, des personnes qui m’ont dit qu’ils ont eu le sentiment d’une présence de leurs morts à leur côté. Comment peut-on interpréter ces expériences ?

Pour terminer, je dirai trois choses à propos de ces expériences avec nos morts :

La première chose, c’est que si l’on a une expérience il faut commencer par l’accueillir. Comme toute expérience spirituelle, il faut être prudent. Il faut la recevoir en disant : « Pourquoi m’est-elle donnée ? Qu’est-ce qu’elle me dit ? » et peut-être être attentif à ses effets : est-ce une parole qui conduit vers une libération et vers une vie ou est-ce une parole ou une expérience qui m’enfonce dans cette espèce d’univers mortifère ?

Et c’est mon deuxième point : Comme toutes les expériences, le grand principe biblique c’est qu’on reconnaît un arbre à ses fruits, et donc on doit interroger les effets de ces expériences. Est-ce qu’elles produisent de la consolation ? Ou est-ce qu’elles produisent, au contraire, une désolation ? Est-ce qu’elles sont porteuses de libération ou est-ce qu’elles nous enferment ? Parce que le danger de ces expériences, c’est qu’on veut les renouveler, c’est qu’on en veut toujours plus et qu’on rentre ainsi dans une spirale mortifère au sens propre du terme, au lieu d’essayer de déposer avec confiance nos morts dans la miséricorde de Dieu et, nous, de repartir vers la vie.

Ce sera ici ma conclusion : on peut accueillir des expériences, après tout pourquoi pas.

Mais je crois surtout qu’il ne faut pas les rechercher car, peut-être au nom d’ailleurs de la parole du Deutéronome, elles risquent de nous entraîner dans une spirale mortifère.

Coproduction : Fondation Bersier – Regards protestants / Réforme – reforme.net
Réalisation : Horizontal pictures
Intervenant : Antoine Nouis