Les textes apocryphes – leur définition minimale :

Ce sont les textes qui sont en dehors de la Bible, les textes qui ne sont pas reconnus par les églises chrétiennes. C’est une définition minimaliste qui marche relativement mal puisqu’une partie de ces textes a été reconnue et est reconnue par un certain nombre d’églises chrétiennes.

La troisième Lettre de Paul aux Corinthiens, qui est un texte apocryphe considéré comme tel par nos églises, a joui longtemps d’une grande autorité dans le christianisme syriaque et arménien et est encore reconnue aujourd’hui par un certain nombre de chrétiens. Donc, lorsqu’on parle de textes qui sont absents de la Bible, on parle de textes qui sont absents de notre Bible, à nous chrétiens d’Occident, protestants et catholiques.

Ces textes, donc, sont très nombreux. Ils sont de genres littéraires très divers. Ils sont de provenances très variées. Ils sont aussi de datations extrêmement différentes les unes des autres. Les textes les plus anciens remontent aux premiers siècles. Les textes les plus récents datent du 20ème, voire du 21ème siècle. Et l’on débat encore pour savoir si un certain nombre de romans contemporains sur Jésus font partie ou pas de la littérature apocryphe chrétienne.

La provenance de ces textes :

Donc ce sont des textes de provenances très variées, de dates très variées. Ce sont aussi des textes de genres littéraires extrêmement divers. On trouve des récits proches des Évangiles. On raconte les aventures d’un personnage, qu’il s’agisse de Jésus ou, pour les apôtres, d’André, Pierre, Paul, donc des personnages dont les aventures sont racontées dans les actes apocryphes des apôtres. Mais nous avons aussi des poèmes, des textes sur la fin des temps, des dialogues, beaucoup de choses avec une diversité littéraire beaucoup plus importante que celle qui est dans la Bible.

La littérature apocryphe chrétienne ne constitue donc pas un corpus au sens d’un ensemble de textes homogènes, mais c’est un ensemble de textes très divers qui ont été regroupés petit à petit par des historiens à partir de la fin du 17ème siècle, début du 18ème siècle.

Une collection très diverse qui pose d’énormes problèmes aux historiens puisque la plupart de ces textes est mal conservée, est difficile parfois à comprendre ou à traduire. Et une partie d’entre eux est transmise dans des versions multiples. Donc on a de la peine à savoir exactement quelle était la forme originelle de ces textes.

Le contenu théologique :

Du point de vue du contenu théologique aussi, ce sont des textes qui s’inspirent et qui reflètent des formes très diverses du christianisme. Depuis des formes du christianisme très proches du judaïsme jusqu’à des formes du christianisme proches des milieux ésotériques qui présentent Jésus ou le christianisme comme une espèce de sagesse destinée à une élite intellectuelle pour laquelle un certain nombre de comportements ou d’exigences intellectuelles sont posés, donc des textes extrêmement compliqués, complexes à lire. Ça peut être aussi des formes du christianisme tout à fait orthodoxes, traditionnelles, qui reflètent les croyances, les dogmes de la grande église.

On ne peut rien dire de général sur la littérature apocryphe chrétienne si ce n’est qu’elle témoigne des différentes formes prises par le christianisme au fil des temps, donc depuis le premier siècle jusqu’à l’époque moderne en Europe, en Asie Mineure, en Égypte bien entendu, en Europe du Nord aussi voire sur le continent américain pour des formes relativement récentes de textes.

Les types de textes apocryphes :

On peut distinguer plusieurs types de textes apocryphes. Certains ont été composés très tôt, pendant les deux premiers siècles donc, somme toute, à l’époque où le Nouveau Testament était constitué. Ces textes ont circulé donc en même temps, probablement, que les Évangiles canoniques (l’Évangile de Marc, de Matthieu, Luc et Jean), que les Actes des Apôtres, qu’un certain nombre de Lettres recueillies dans la Bible.

Ces textes ont-ils été en concurrence ou pas dans les communautés chrétiennes des deux premiers siècles ?

C’est une question qui est très discutée. Les communautés chrétiennes, dans les premiers siècles, étaient des communautés éclatées, situées dans des lieux précis et sans forcément beaucoup de moyens de communiquer les unes avec les autres. On voit quand même progressivement, dans le courant du 2ème siècle, que les communautés commencent à se connaître les unes les autres, commencent à discuter ensemble, commencent à échanger sur des contenus théologiques, sur des pratiques comme la date de la fête de Pâques etc…

A partir du moment où les communautés chrétiennes se sont mises en réseau, ont commencé à discuter ensemble, à interagir, aussi à se critiquer, la question de leurs textes de référence va se poser. Donc il y a eu probablement à cette phase, donc début du 2ème siècle, courant du 2ème siècle, toute une série d’ajustements entre les communautés chrétiennes.

La grande difficulté c’est que nous n’avons quasiment plus aucun témoignage de cette première phase, qu’on peut appeler peut-être une phase de sélection, donc en tout cas une phase où les textes se confrontent. Il nous reste un unique témoignage de la fin du 2ème siècle où un chef de communauté rencontre un certain nombre de paroissiens qui lui disent : « Pouvons-nous lire l’Évangile de Pierre ? » Et ce chef de communauté (on est donc en Syrie) a d’abord une réponse tout à fait positive et enthousiaste. On s’aperçoit qu’il ne connaît pas le texte mais que le patronage de Pierre, un grand apôtre, vaut autorité. Autrement dit la première réaction du chef de communauté est de dire : « Si c’est un Évangile lié à Pierre, allons-y, vous pouvez le lire ». Il s’aperçoit ensuite que les personnes qui lui ont posé la question sont un petit peu hérétiques et donc, dans ce cas-là, les suspicions émises par ce chef de communauté à l’égard de l’Évangile de Pierre ne vont pas être dues au contenu de cet Évangile mais au comportement et aux doctrines des personnes qui l’utilisent.

Ce chef de communauté va ensuite prendre connaissance de l’Évangile de Pierre puisque la communauté adverse ou concurrente va lui prêter sans difficulté un exemplaire. Il va prendre le temps de le lire. Il va constater que ce texte est globalement conforme sauf quelques détails qu’il va énumérer dans un texte malheureusement perdu.  C’est un des seuls témoignages, pour ne pas dire l’unique témoignage, que nous ayons sur le travail de sélection des textes qui s’opérait dans les premiers siècles.

Les textes du Nouveau Testament ont-ils fait consensus ?

A la fin du 2ème siècle on voit que globalement quatre Évangiles s’imposent : l’Évangile de Matthieu, de Marc, de Luc et de Jean, donc les Évangiles qui sont dans la Bible actuelle. Pour quelle raison ? Nous ne savons pas. Ce que nous pouvons constater c’est que tous ces textes ont été critiqués ; l’Évangile de Marc parce qu’il était mal construit, l’Évangile de Luc parce qu’il se rapportait à l’apôtre Paul et que tout le monde n’acceptait pas la figure de l’apôtre Paul, l’Évangile de Jean parce qu’il était trop différent des autres etc…

Donc l’idée selon laquelle les textes que nous avons dans le Nouveau Testament sont des textes qui auraient fait consensus, qui auraient été acceptés par tous les chrétiens de l’époque, est une idée fausse, historiquement intenable. Ce sont des textes qui ont été critiqués par différentes franges du christianisme et qui, au terme d’un processus dont nous ignorons quasiment tout, ont acquis un statut privilégié par rapport aux autres.

Dans ces discussions dont nous ignorons tout, on peut être certain qu’un certain nombre de textes ont fait l’objet d’une discussion. Nous avons cet exemple sur l’Évangile de Pierre. Dans d’autres cas probablement qu’il n’y a jamais eu de confrontation puisque certains textes circulaient dans des milieux extrêmement définis, certains textes étaient extrêmement techniques (on peut penser par exemple à des textes gnostiques comme l’Évangile de Philippe, qui sont des textes extrêmement difficiles à comprendre jusqu’à aujourd’hui).

Pourquoi ces textes et pas d’autres ?

Il y a eu des débats autour de certains textes. Probablement que d’autres textes trop techniques, trop difficiles, trop spécifiques à un public restreint ont simplement sombré dans le temps parce qu’ils n’ont plus été copiés, parce qu’ils n’ont plus été lus, parce qu’ils n’ont plus été utilisés. Ils ont disparu sans forcément avoir été condamnés, sans forcément avoir été explicitement critiqués.

A partir de la fin du 2ème siècle, cette formation des textes du Nouveau Testament, petit à petit, ne va pas empêcher les chrétiens de continuer à écrire des textes. Et donc nous avons bon nombre de textes apocryphes qui ont été écrits après le 2ème siècle, voire après le 4ème siècle.

Ces textes, somme toute, n’ont pas été en concurrence avec les textes bibliques puisqu’ils ont été écrits après que le canon soit globalement constitué. Par contre, ils ont accompagné la piété chrétienne, ils ont accompagné les développements de la liturgie, ils ont en partie aussi accompagné les développements de l’art chrétien. Donc ce sont des textes qui n’étaient pas dans la Bible, dans le Nouveau Testament, mais ce n’était pas non plus des textes qui étaient problématiques, hérétiques, condamnés.

Il faut aussi se rappeler que la liturgie catholique, liée aux faits des apôtres, s’inspire en très grande partie de réécritures faites à une époque tardive, entre le 5ème et le 7ème siècle probablement, réécritures de textes extrêmement anciens du deuxième siècle. Ces textes du 2ème siècle étaient problématiques du point de vue théologique, quasiment intégralement disparus, mais à la fin de l’Antiquité tardive (donc 5ème, 7ème siècle) ils ont été connus d’un certain nombre de clercs, de membres du clergé qui cherchaient des informations sur les aventures des apôtres.

Donc ces textes anciens ont été expurgés de leur contenu théologique problématique, réécrits, ce qui a permis de produire des nouveaux textes qui, eux mêmes, ont nourri la liturgie catholique jusqu’à nos jours. Dans un certain nombre d’églises, en Éthiopie, en Arménie notamment, jusqu’à aujourd’hui les chrétiens lisent des textes qui, dans les églises traditionnelles (catholique, protestante) ne sont pas reconnus comme canoniques dans nos Bibles.

Donc jusqu’à aujourd’hui, malgré tous les processus d’uniformisation du texte biblique qui ont eu lieu pendant tous les siècles, tous les chrétiens dans le monde ne lisent pas exactement les mêmes textes de référence. La Bible change de visage selon les cultures, selon les lieux, où l’on cherche à la découvrir.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Réalisation : Jean-Luc Mouton
Intervenant : Rémi Gounelle

Pour approfondir le sujet :

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