Face aux violences du monde, Haïm Korsia plaide pour une fraternité sans frontières

Invité à l’ambassade de France à Copenhague par l’Eglise réformée le 5 novembre dernier, le grand rabbin de France Haïm Korsia a dialogué avec le pasteur François Clavairoly autour du thème de « Dieu désarmé ». Un échange fort, marqué par l’actualité internationale et par une conviction partagée : face à la violence, la fraternité demeure la seule réponse crédible.

« On a dû affronter des choses terribles », confie Haïm Korsia. Il évoque une France « littéralement attaquée par le terrorisme », mais aussi une France qui tient. Dans ces moments de fracture, les responsables religieux ont porté une charge morale et symbolique particulière : incarner une fraternité capable de résister à la peur, à la haine et au repli identitaire. « Avec les autres cultes – catholiques, protestants, musulmans, bouddhistes –, il fallait montrer que l’unité n’efface pas les différences mais les rend habitables. »

La relation entre Haïm Korsia et François Clavairoly s’inscrit dans cette logique du temps long. Leur amitié est née bien avant leurs fonctions nationales respectives. « Je crois qu’on connaît vraiment quelqu’un quand on étudie avec lui », explique le grand rabbin, racontant cette tradition juive où l’étude partagée précède toute parole. Ensemble, ils ont traversé les épreuves de la décennie 2010 : attentats, fractures sociales, crispations identitaires. Leur dialogue est devenu un point d’appui pour d’autres, un « noyau » autour duquel les responsables religieux ont pu se rassembler.

Cette fraternité s’enracine aussi dans une mémoire douloureuse. Haïm Korsia rappelle que la France porte deux crimes d’État majeurs : la Saint-Barthélemy pour les protestants et la déportation des Juifs pendant la Shoah. « Ce que nous partageons, c’est d’incarner une différence qui rappelle que la France est grande quand elle ne juge pas ses enfants selon leur culte, mais comme des citoyens. » Une conviction profondément républicaine, qui donne au dialogue interreligieux une portée civique autant que spirituelle.

Le grand rabbin insiste sur la responsabilité particulière des minorités religieuses. Protestants et Juifs, dit-il, occupent une place singulière : ils rappellent que la fraternité n’est jamais acquise, qu’elle se construit contre l’oubli, contre l’indifférence. Leur alliance symbolise une France qui reconnaît ses blessures et choisit de ne pas les reproduire.

Cette fraternité s’incarne aussi dans des figures contemporaines. Haïm Korsia cite le docteur Denis Mukwege, prix Nobel de la paix, dont l’engagement auprès des femmes victimes de violences sexuelles au Congo est nourri par sa foi protestante. « Il a choisi d’être responsable de sa sœur », dit-il, reprenant la question biblique : Suis-je le gardien de mon frère ? Deux humanités se font face : celle de l’indifférence et celle de la responsabilité.

Dans un monde traversé par les guerres, les crispations identitaires et les discours de haine, le message porté à Copenhague résonne bien au-delà des frontières françaises. « Nous n’avons que la fraternité contre la barbarie », affirme Haïm Korsia. Une phrase qui résume l’enjeu de ce dialogue : rappeler que la paix ne naît ni de la négation des différences ni de leur instrumentalisation, mais d’un engagement commun à reconnaître l’autre comme un frère.

Production : Fondation Bersier – Regards protestants
Remerciements : François Clavairoly
Entretien mené par : David Gonzalez
Technique : Alban Robert