Les causes profondes de la Réforme sont anciennes et si l’on observe attentivement le calendrier des événements, le mouvement réformateur semble bien le fruit d’une évolution lente mais inéluctable. Cependant, l’année 1516 est celle de la mise en place des éléments qui précèdent immédiatement le choc de 1517. Du côté des humanistes, des théologiens et des politiques, tous les acteurs sont présents.
Théologie : les temps sont mûrs
Du côté des humanistes, Erasme soutient que les Écritures peuvent être lues et comprises par le peuple, à condition qu’on l’autorise à utiliser des traductions dans les langues connues et parlées par lui. Il publie à Bâle en 1516 le Novum Instrumentum, dédié au pape Léon X. Il propose un Nouveau Testament en grec et latin, en s’appuyant sur des manuscrits disponibles en grec ; la version de saint Jérôme, la Vulgate, est donc laissée de côté. C’est peu dire qu’il émet des idées révolutionnaires : Je souhaite que les femmes lisent l’Évangile (…) que les laboureurs, le tisserand les chantent à leur travail. Le baptême, les sacrements appartiennent à tous les chrétiens ; pourquoi le dogme serait-il connu seulement des théologiens et des moines ? L’ouvrage marque un tournant et sera édité plus de 200 fois avant la fin du siècle. La même année 1516, le concile de Latran V décide que toute publication doit être soumise à l’approbation des autorités ecclésiastiques. Les ecclésiastiques aussi aspirent aux réformes, dont un certain Ulrich Zwingli, curé de Zurich, qui fait connaître son opinion en 1516. De son côté, Martin Luther a déjà entamé sa réflexion. Celui qui est encore professeur d’Écriture sainte à l’université de Wittenberg et ermite augustinien au couvent d’Erfurt, fait paraître un Commentaire de l’Épître aux Romains de saint Paul, où il croit pouvoir affirmer le sola fide, la justification par la foi seule, les œuvres ne pouvant sauver les hommes.
Politique : mise en place des acteurs
L’année 1516, dans le domaine des idées politiques, est celle de la parution du Prince de Machiavel. En Italie, la papauté s’expose depuis longtemps aux critiques, inconsciente des conséquences que ses choix politiques, théologiques et humains vont avoir dans quelques années. En 1516, le pape Léon X, un Médicis, fait donner le duché d’Urbin à son neveu, dépossédant son titulaire qui était lui-même le neveu du pape précédent, le redoutable Jules II. En Espagne, Charles de Gand, prince de Habsbourg, devient le roi d’Espagne (Castille et Aragon) Charles Ier. Il sera plus connu sous le nom de Charles Quint, une fois élu empereur du Saint-Empire romain germanique et c’est lui qui aura à gérer la Réforme en Allemagne. En Angleterre ? Tout va bien, Henri VIII, prince cultivé, règne en harmonie avec son épouse Catherine d’Aragon. Seule inquiétude, la reine met au monde des enfants qui ne vivent pas, sauf une fille qui semble plus résistante : c’est la future Marie Tudor. En France, le jeune roi François 1er (21 ans) dont c’est la 2e année de règne, signe avec la papauté le concordat de Bologne, qui va régler les rapports de l’Église catholique et de l’État jusqu’à son abrogation par l’Assemblée constituante en 1790. Il s’agit donc d’un texte d’une très grande importance, qui renforce le pouvoir royal en lui donnant le droit de nomination à presque tous les gros bénéfices (10 archevêchés, 82 évêchés, 527 abbayes…). En clair, c’est le roi qui contrôle l’Église de France ; il s’en servira pour récompenser les grandes familles, qui se servent largement en récupérant à leur profit, en moyenne, plus de la moitié des revenus de leurs charges. Un enfant de sept ans du nom de Jean Calvin grandit tranquillement à Noyon, en Picardie. Dans toute la chrétienté, nombreux sont ceux qui estiment indispensable une grande réforme de l’Église, mais la majorité espère qu’elle pourra se faire à l’intérieur des institutions.