Fatigué de marcher, il traîne un peu les pieds. Longeant un petit édifice de pierre et de brique coincé entre des immeubles, il avise un panneau sur le trottoir : entrée libre, de quoi se poser un instant. Pas besoin de pousser la porte, il entre, c’est tout. Dès le seuil, la fraîcheur le saisit et appelle au calme. Les gammes d’un instrument flottent dans le lointain, en coulisse. Le flâneur sait alors qu’il pénètre dans un temps à part, qu’un espace pour soi se prépare.

Contrastes du quotidien

Le contraste avec l’extérieur lui demande quelques minutes d’accoutumance, comme si le cœur devait suivre l’adaptation des yeux à la lumière tamisée du lieu. Il avise un coin libre où étendre ses jambes et regarde autour de lui. Une trentaine de personnes sont présentes, quelques autres s’installent encore. Certains scrutent les quelques décorations, peut-être intrigués comme lui par tant de sobriété ; des voisins, sans doute. D’autres discutent à voix basse ou paraissent se concentrer en eux-mêmes, comme dans une prière intérieure ; des habitués du lieu, paroissiens. 17h sonnent.

Un accès au spirituel

Un instant pour fermer les yeux et se lève l’harmonie d’un petit ensemble mené, disait l’affiche par Véronique Papillon, violon à l’Opéra de Paris. Trio ou quatuor, le morceau est choisi bien sûr, mûri et médité ; en quelques lignes mélodiques, il évoque juste ce qu’il faut pour décoller de soi la lassitude de la marche et le quotidien qui restait accroché aux pensées. Puis doucement, le son devient filet comme pour accompagner une réalité plus grande que lui. Peut alors résonner la voix humaine, dans toute sa sensibilité. Quelle était cette lecture ? Un psaume, une histoire d’évangile, une prière ? Le flâneur se laisse si facilement bercer par la poésie des mots, ces rythmes où l’on retrouve un peu de son regard d’enfant. La musique a repris ses droits et prolonge l’instant. Parfois, même lorsque retombe l’écho, le visiteur se surprend à méditer dans l’espace entre les notes, la vibration du timbre de la voix. Il touche alors du cœur quelque chose de l’âme. C’est subtil, différent, en même temps presque dérangeant d’être convié à l’intime et rassurant.

Le corps et l’âme ensemble

Pour la paroisse de Béthanie, ces instants de méditation musicale sont construits comme un temps de spiritualité mensuel, le samedi après la semaine de travail. Un moment imaginé pour soutenir la foi des membres de l’Église, un temps d’accueil pour proposer une expérience personnelle aux amoureux de la musique, des textes, qu’ils soient ou non croyants. Il ne s’agit pas ici de proclamer une vérité mais d’accompagner une expérience spirituelle personnelle, de faire découvrir par l’évocation, la vibration, la sensation, l’harmonique. C’est une spiritualité du corps qui traverse l’âme et la guide. En quelques mois, ces samedis sont devenus incontournables pour certains, moments de paix et de ressourcement qui attirent les voisins, les amis et notre flâneur.

Nouvelles fraternités

Dans la profondeur de ce qui est donné, tant en interprétation musicale qu’en partage de lectures, se vit une autre manière de croire, des interrogations sur la vie quotidienne, une occasion de recul sans jugement sur le sens ou le rythme de l’existence. Pour l’équipe responsable, des accompagnements et des fidélités se tissent là et viendront grandir l’Église de demain, spirituelle et fraternelle. Déjà le flâneur ne flâne plus, mais repart avec des sensations, des questions, des regards souriants sous les masques. Il sait bien que le mois prochain il pourra retrouver ce siège qui est déjà un peu le sien. On apprivoise si vite les lieux où l’on se pose ainsi, en profondeur.