Hervé Moritz a milité aux Jeunes Européens, la section jeunesse du Mouvement européen, jusqu’en 2019. Cette organisation apolitique promeut la citoyenneté européenne et la construction d’une Europe fédérale au sein d’une trentaine de pays du Vieux continent. Le jeune homme de 26 ans est aujourd’hui secrétaire général du Mouvement européen en Alsace, ainsi que président de l’orchestre universitaire de Strasbourg où il joue du trombone. Sa passion pour la musique prend sa source dans son éducation protestante et les chœurs auxquels il a participé enfant dans sa paroisse de Schiltigheim. Européen engagé, il pose un regard averti sur la place de la jeunesse en Europe.

Quel est votre parcours personnel en tant qu’Européen ?

Enfant, j’ai été sensibilisé à la mémoire locale alsacienne et à la question de la guerre de par mon environnement familial. Vers dix ans, j’ai eu l’occasion de participer à un voyage à Berlin avec le conseil des jeunes de Schiltigheim. Nous avons exploré les traces du Mur, donc d’une Europe séparée, d’une guerre incessante. Je ne comprenais pas pourquoi on avait posé des murs entre des gens qui avaient de vraies vies ensemble. Ces visites mémorielles m’ont marqué. À 17 ans, j’ai rejoint les Jeunes Européens. On m’avait prévenu que ce serait le moyen de voyager facilement. Ça a été une opportunité incroyable de me faire des amis partout. En licence d’histoire, j’ai passé une année Erasmus à Leipzig. J’ai découvert une toute autre Allemagne que celle que je connaissais à la frontière alsacienne. Surtout cela m’a permis d’aller dans les pays de l’est de l’Europe. Aujourd’hui, j’ai des canapés de disponibles aux quatre coins de l’Europe. Je parle français, anglais et allemand et j’apprends l’italien. Je n’étais pas du tout bon en langues à l’école et cela montre qu’on peut être un Européen convaincu sans être parfaitement bilingue. Ce n’est pas grave de faire des fautes, l’important c’est de pouvoir communiquer.

Comment agit votre association ?

Nous faisons des actions de pédagogie dans les classes et les centres socio-culturels, des actions de rue, des animations. Nous avons par exemple organisé des simulations de Parlement européen pour les jeunes. Nous organisons des débats avec des élus, des experts et des professionnels de l’Europe pour favoriser le dialogue entre ces personnalités et les citoyens. On n’est pas là pour dire que tout fonctionne, mais que, parce que l’Europe est un beau projet, on peut chercher à résoudre ses problématiques pour continuer à construire. Nous défendons nos positions auprès des institutions et des élus, par exemple pour une Europe de la santé ou un plan de relance européen. Nous avons récemment porté en France une campagne pour plus d’Europe à l’école et dans les médias.

Est-ce que les jeunes que vous rencontrez se reconnaissent dans l’Europe ?

Souvent, ils n’ont pas de liens tangibles avec l’Europe. Dans certaines classes, aucun enfant n’est allé dans un autre pays. Donc de prime abord, l’Europe, c’est abstrait pour eux. Alors nous nous efforçons de leur montrer qu’elle est partout dans leur quotidien. Nous les sensibilisons aux droits que cela leur apporte, comme la libre circulation, le fait de pouvoir travailler hors de France, d’être prémuni contre les discriminations. Nous sommes aussi là pour leur dire qu’ils ont un rôle à jouer dans la construction européenne, qu’ils peuvent donner leur avis, en portant des pétitions, des initiatives citoyennes ou en interpelant les élus. Parfois nos interventions amènent des débats, sur l’écologie, l’accueil des réfugiés. Au final, ils se rendent compte qu’ils sont déjà engagés, ce qu’ils n’imaginaient pas. Ils ont tous un avis sur les enjeux européens. Ces jeunes se reconnaissent dans les valeurs de démocratie et de droits de l’Homme. Ils sont ouverts à l’autre et curieux.

Comment rendre l’Europe plus tangible pour ces jeunes ?

Aujourd’hui la possibilité d’éprouver l’Europe n’est pas donnée à tout le monde. Nous militons pour développer les programmes d’échange. On ne peut pas dire à la fois vous êtes des citoyens européens et vous êtes assignés à résidence dans votre pays. Chacun devrait avoir une opportunité de mobilité avant ses 25 ans. Les échanges de classe sont souvent la seule expérience accessible. On doit les multiplier. Mais on doit aussi soutenir les échanges via les associations ou les centres socio-culturels. Promouvoir les voyages entre amis aussi, qui sont possibles grâce au dispositif Interrail. On pourrait imaginer un pass européen sur le modèle du pass culture qui permettrait de découvrir la culture dans le pays d’à côté. Il y a aussi le problème des droits restreints pour certains enfants étrangers, par exemple pour l’élève tchétchène qui ne peut pas venir en voyage scolaire. Je ne crois pas au programme Erasmus pour 100 % des jeunes. Il existe des dispositifs moins lourds, comme le corps européen de solidarité. C’est une sorte de volontariat européen dont on ne parle pas assez et qui n’exige pas de prérequis scolaires ou universitaires. Utilisons ces leviers.

Pensez-vous que les jeunes prennent la relève de la construction européenne ?

Il y a bien un renouvellement au niveau militant. Et lors des élections européennes de 2019, la participation des jeunes a bondi de 15 %. Cela coïncidait avec le début des marches pour le climat. Pour la première fois, ce sont les jeunes qui ont imposé un thème de campagne sur lequel les candidats devaient se positionner. C’est le témoignage d’une prise de conscience. Les jeunes comprennent aujourd’hui que l’Europe est un acteur à même de répondre aux enjeux qu’ils ont identifiés. Ces élections ont montré que leur mobilisation a de l’influence. De jeunes eurodéputés sont arrivés sur le devant de la scène, qui incarnent les combats portés par les jeunes, même s’ils sont moins nombreux parmi les élus français.

Que peut-on espérer après la crise de la Covid-19 ?

Cette crise a révélé les dysfonctionnements de l’Union européenne. La fermeture des frontières est un gros échec. Ne pas pouvoir circuler entre Strasbourg et Kehl n’a aucun sens. Je regrette cette décision lunaire de l’Allemagne de couper un bassin de vie. On a aussi constaté les manques de l’Europe de la santé. Tout cela a montré que les frontières existent encore et que la solidarité est toujours au bon vouloir des États. Certes l’Allemagne a accueilli des patients français, mais cela ne devrait pas relever de l’exceptionnel. Toutefois au-delà de cette déception, cette crise est une occasion d’explorer d’autres projets qu’on peut avoir en commun. Elle a déjà levé des tabous, comme l’acceptation d’une dette commune de l’UE pour financer les investissements européens. Cette crise permet de préparer l’avenir. La conférence sur l’avenir de l’Europe devait s’ouvrir en 2020 pour deux ans. J’espère que le projet reste toujours ambitieux et qu’il permettra d’ouvrir le débat sur l’Europe d’après. Ce sera l’opportunité pour les citoyens de faire entendre leurs voix en dehors des rendez-vous électoraux.