Dans le monde d’avant-crise, il était de bon ton d’affirmer que l’Église protestante unie perdait 1 à 2 % de ses forces vives chaque année et devait affermir son témoignage. Le mois de septembre sera celui des constats : soit les Églises locales réformées et les paroisses luthériennes subissent un trou d’air difficile à enrayer, soit elles parviennent à redéployer une activité et un témoignage en s’adaptant aux nouvelles donnes de la société, et trouvent là une opportunité de croissance. La prochaine édition de Paroles protestantes témoignera plus précisément des expériences locales et des espoirs nés de cette période particulière. Mais dès à présent nous pouvons tracer des lignes pour une adaptation nécessaire, par quelques éclairages clés.

Prendre conscience des choix effectués

Surpris tout d’abord par la soudaineté de la solitude, beaucoup de paroissiens de la région ont partagé leur étonnement devant le choix qui s’offrait très rapidement à eux de suivre des études bibliques, des méditations, des cultes, des prières de toutes sortes sur les réseaux sociaux, par mails et même par sms. La contrainte a développé la créativité des Églises locales, au point que certains fidèles sont allés rechercher deux ou trois prédications sur le même texte du dimanche, par intérêt ou curiosité. Souvent vécue comme une chance, cette situation doit être replacée dans un contexte. Car le choix d’écouter un foisonnement d’émissions est certes une liberté, et tout le monde en manquait cruellement durant le confinement, mais c’est aussi un risque à long terme. La foi touche au plus intime de l’humain et ne peut se passer longtemps de communauté, sous peine de perdre la dimension critique de l’altérité et de devenir en quelque sorte son propre gourou. D’autant que le mode de communication choisi par la paroisse est loin d’être neutre. Proposer de suivre un culte sur Facebook, d’y participer en vidéoconférence ou de réserver la présence physique en priorité à ceux qui n’ont pas internet, ne véhicule pas la même idée de l’Église.

S’adapter à une société volatile

Avec le foisonnement de propositions, tout le monde peut tout, tout le temps, n’importe où. Le choix est tel, que les habitudes d’engagement peuvent devenir un zapping de consommation. Que l’on parle d’un fournisseur de vêtements, d’une relation amicale ou de spiritualité, le choix sera fonction de l’instant, de l’envie, de l’émotion ressentie dans l’immédiat. En soi, cette caractéristique n’est ni positive ni négative. Mais elle induit une mentalité à laquelle les médias, par exemple, se sont adaptés en proposant des informations de plus en plus courtes et éclectiques. L’Église elle-même s’adapte en proposant des activités plus variées, si bien que le culte n’est plus forcément perçu comme le centre évident de la vie communautaire. Même la radio Fréquence protestante, ou la fondation Bersier, grande pourvoyeuse de vidéos, en viennent à produire des séquences de quelques minutes. La mentalité de consommation aurait-elle gagné la spiritualité ? La volatilité des envies des paroissiens se serait-elle développée durablement à l’occasion du confinement ? Si la spiritualité devient un grand marché des possibles, on pourrait découvrir un monde de « chrétiens séquentiels », tour à tour chrétiens, bouddhistes ou agnostiques en fonction de l’humeur ou du thème à la mode. Une brèche s’ouvrirait alors dans la notion même de monothéisme. Face à ce risque, les chrétiens de tradition ou de « conviction durable » ont tendance à réaffirmer la foi sous un mode classique, présentiel comme on dit aujourd’hui. Le débat de l’adaptation à la volatilité du monde sera à n’en pas douter un enjeu majeur des Églises dès la rentrée : où placer le curseur, entre le culte classique suivi par 10 % des paroissiens et des formes volatiles de témoignages qui peuvent concerner une population très importante dans le monde entier ?

Les finances tiendront-elles ?

Un pasteur a contacté la rédaction avec une demande : « faites un article sur les finances, sous forme d’appel, la situation est désastreuse ». Souhaitant rester discret, ce que l’on peut comprendre, il précise : « notre paroisse n’a plus de rentrée d’argent, presque plus de dons. Et pourtant l’entraide a besoin, justement maintenant, de soutenir un nombre croissant de paroissiens et les personnes qui viennent frapper à la porte ».
D’autres paroisses ont inventé de nouvelles manières de faire la collecte traditionnelle. Le don en ligne s’est développé, jusque pendant les cultes diffusés sur les réseaux sociaux. Une paroisse comme Paris-Plaisance a également proposé à chaque famille de mettre une enveloppe de côté et d’y insérer chaque dimanche l’offrande habituelle. La sortie de confinement a été l’occasion de rapporter au temple ces précieuses missives. Les situations locales sont très contrastées. Un responsable d’entraide contacté pour l’occasion est dans ses petits souliers : « Nous, on a mis l’Entraide en déficit, on est à la limite des réserves accumulées depuis 10 ans. On a tellement donné, qu’on a presque vidé les caisses. » Il avouera quelques minutes après, avoir été pris dans une telle urgence que l’organisation n’a pas suivie : « nous avons laissé filer les finances au point que l’association a aujourd’hui quelques dettes. Même si je ne regrette pas d’avoir répondu à l’urgence, je n’ose pas demander aux paroissiens de renflouer les caisses de l’Entraide ; on a un vrai souci. »

Derrière la réalité des chiffres, les équilibres habituels de la communauté sont malmenés et imposent une clarification des choix théologiques. Jusqu’où peut-on aider, faut-il établir des priorités dans la misère ? Y a-t-il un équilibre possible entre la vie spirituelle de la communauté et son implication dans le monde ? L’Église locale doit-elle soumettre son activité à des impératifs budgétaires, ou bien d’autres formes de témoignages sont-elles possibles ? Des questions aussi lourdes auront du mal à être tranchées au niveau de la seule paroisse locale. Peut-être cela est-il une chance.