Élisabeth Parmentier est professeure de théologie pratique et vice-doyenne de la faculté de théologie de Genève et Christian Albecker, président du Conseil de l’Union des Églises d’Alsace et de Lorraine.
Comment avez-vous vécu votre confinement ?
Christian Albecker : Chez moi comme tout le monde, avec la particularité que j’étais un «covidé». J’ai fait partie de ceux qui au début disaient qu’il s’agissait d’une grosse grippe et qu’en tant qu’Église nous devions donner l’exemple de la confiance. Entre une forte fièvre et une impression de grande faiblesse, j’ai fait durant un mois l’expérience de la fragilité, au point que même la fraîcheur d’un verre d’eau prenait une autre dimension. Malgré cela, j’ai mesuré ma chance lorsque j’ai appris qu’au même moment des personnes que je connaissais, comme Bernard Guillot ou Claude Mourlam, étaient à l’hôpital entre la vie et la mort. J’ai été touché par le mouvement de prières qui s’est organisé et par tous les messages de sympathie qui me parvenaient.
Élisabeth Parmentier : Je suis restée confinée auprès de ma mère pour m’occuper d’elle. Colloques, conférences et déplacements, prévus entre mars et mai, ont été annulés et cela a été une libération. Et il y avait ce printemps insolent de beauté, avec des oiseaux que je n’avais jamais entendus chanter comme cela. Je pouvais voir pousser la végétation, apprécier le silence le soir, les étoiles… C’était du bonheur. J’avais aussi les cours universitaires à gérer à distance. J’ai dû beaucoup travailler la question de la crise du Covid-19 avec mes étudiants. J’ai très vite renoncé au tapage médiatique et me contentais des informations les plus importantes. J’étais à la fois dans cette
atmosphère anxiogène et très sereine.
De quoi cette crise a-t-elle été le révélateur ?
E.P. : Le monde a accepté de se confiner, d’agir ensemble pour une cause et pour un temps donné. Je me suis dit que nous pourrions faire la même chose pour l’écologie. Mais, ce virus génère plus d’angoisse. Au début, je pensais que les médias montaient l’épidémie en épingle, mais très vite j’ai compris que cette crise sanitaire était grave. L’idée qu’une menace peut avoir cette ampleur et, surtout qu’elle n’est pas contrôlable, a généré de la peur, peur de la maladie et de la mort.
C.A. : Je le dirais avec d’autres mots. Il s’agit d’une sacralisation de la santé. On n’accepte plus la fragilité, et cela interroge.
E.P. : Ce qui est instructif, c’est de voir quelles autorités on se crée. Dans la crise, on a eu les médecins et les politiciens. Pourtant, ils n’avaient pas l’expérience du virus. Les scientifiques se contredisaient.
C.A. : C’est la crédibilité de la médecine et de la science qui a été remise en cause. C’est inquiétant et révélateur d’un certain dysfonctionnement des médias et des réseaux sociaux. La confusion entre le vrai et le faux a été aussi anxiogène que la maladie elle-même.
E.P. : Les élus, quant à eux, ont fait comme ils ont pu. À présent, il faut chercher les failles pour mieux agir la prochaine fois… Nous avons accepté que les personnes âgées soient isolées et éloignées de leurs proches, il faudra là aussi faire autrement la prochaine fois…
E.P. : À la prochaine crise sanitaire, il faudra maintenir les visites dans les EHPAD. Nos aînés sont vulnérables du point de vue de leur santé et de leur moral. Que les familles qui le pourront, les prennent chez elles, le temps nécessaire. Je préfèrerais que ma mère soit avec moi, quitte à lui faire courir un certain risque, plutôt que la laisser mourir seule.
C.A. : Oui, des personnes sont mortes sans que leurs familles puissent les voir une dernière fois. Il est étrange qu’au nom de la santé, nous acceptions d’être privés de la liberté de circulation et de culte. Le fait que l’épidémie se soit étendue à partir d’une rencontre religieuse a évidemment compté dans l’attitude des pouvoirs publics. Mais de fait, ils ont considéré que pratiquer son culte est moins important que d’aller au supermarché, que c’est de l’ordre du loisir et qu’on peut prier chez soi. Certes, ce n’est pas entièrement faux et cela nous a permis de retrouver la dimension personnelle et familiale de la prière, mais notre pratique ne peut pas se réduire à cela.
De nombreuses initiatives locales ont permis de garder le lien avec les fidèles : qu’en retirez-vous ?
C.A. : J’ai vécu en particulier un culte en visioconférence organisé par les paroisses de Romanswiller et de Wasselonne, en direct avec des paroissiens du Sénégal, parmi lesquels le président de l’Église luthérienne du Sénégal, Adama Faye. Cela a été une expérience forte de l’Église universelle dont nous n’aurions sans doute pas eu l’idée en dehors de ce contexte.
E.P. : J’ai été impressionnée par l’inventivité des pasteurs et par l’engouement suscité par toutes leurs propositions en ligne. Cela signifie qu’il y a là, potentiellement, des personnes prêtes à participer et à adhérer à d’autres formes de culte.
C.A. : Nous débattons déjà de cette question. Il faudrait en tous cas veiller à éviter le risque de l’entre soi sur les médias sociaux. Reconnaissons que dans les cultes traditionnels, le risque existe aussi, mais si l’Église a une mission aujourd’hui, c’est de se déconfiner, de nous déconfiner.
E.P. : J’aime beaucoup cette idée d’Église déconfinée. Se confronter à une assemblée où il n’y a pas que des personnes avec lesquelles je suis en affinité, cela dit bien ce qu’est l’Église.
Comment utiliser les réseaux sociaux en apportant du contenu ?
C.A. : À une époque de post-vérité, nous devrions être porteurs de ce que j’appelle la «slow communication», c’est-à-dire une communication qu’on construit en prenant du temps. L’expression de la foi demande de la réflexion et ne se fait pas à travers de slogans simplistes. Les catholiques et les évangéliques ont plus de facilités, ils sont plus dans l’émotion et l’image. La formation des pasteurs et des nouveaux ministères comme celui d’évangéliste devra intégrer cette dimension des réseaux sociaux, pas seulement pour en maîtriser la dimension technique, mais aussi pour en mesurer les enjeux.
E.P. : Plutôt que d’être dans le tout médiatique, nous sommes attendus sur la qualité de la réflexion théologique. S’il y a un ministère d’évangéliste, il est évident qu’il doit être sur le créneau technologique. Nous devons
réussir à toucher des personnes que nous ne rencontrons pas dans nos lieux habituels, leur offrir un espace de discussion autour de questions existentielles.
Avons-nous vécu une simple parenthèse ou devons-nous rêver du monde d’après ?
E.P. : Il s’agit plutôt de réfléchir à comment nous réagissons face un ennemi imprévu et invisible. Nous ne sommes pas complétement pareils qu’avant, mais de là à dire que nous avons changé ! On a vu de belles choses et d’autres qui l’étaient moins. Maintenant, on va faire face à une autre crise, la crise financière et économique. Il s’agira du test le plus redoutable. Il mettra à l’épreuve nos bonnes intentions et nos belles idées.
C.A. : Ce que nous avons vécu, nous a ébranlés et a interrogé notre système économique et social. Les dictateurs en profitent pour pousser toujours plus loin les limites de leur pouvoir. Les grandes multinationales n’ont qu’une idée en tête, c’est de rattraper le temps perdu. Nous avons constaté qu’il suffit d’un mois ou deux d’arrêt de certaines activités humaines pour que la nature s’épanouisse… Quelle leçon allons-nous en tirer ? Il faut une volonté collective pour aller vers un monde meilleur.
Aviez-vous un rituel quotidien durant le confinement ?
C.A. : Quand j’allais mieux, avec mon épouse nous faisions une promenade dans notre quartier et allions rejoindre, chaque soir à 18h, la dizaine de personnes qui assistait à l’office en l’église de la Robertsau.
E.P. : Pour moi, c’était plutôt 6h du matin. Je me levais très tôt. J’allumais une bougie, j’ouvrais la fenêtre pour écouter le chant des oiseaux, et c’était mon moment de prière. Elle était pour une autre personne chaque jour.
C.A. : Au cours des offices de 18h, nous avions aussi un temps de prière pour les personnes. Certains soirs, près de 30 noms étaient cités.
E.P. : C’est une prise de conscience de la communion des saints. Ceux qu’on porte dans la prière et par qui on est porté. Nous avons fait l’expérience d’un protestantisme moins individualiste.
C.A. : Intercéder, c’est se placer entre. Entre mon prochain et Dieu. J’aime bien cette idée. L’intercession, c’est aussi la protestation de Job . Il n’y a pas de réponse au mal et à la souffrance, mais il reste la confiance : « Mon
Rédempteur est vivant. »
E.P. : Quand Luther dit « Par le baptême, nous sommes tous prêtres », il dit que le prêtre se tient devant Dieu, intercède pour les humains auprès de Dieu et pour Dieu auprès des humains. Le croyant amène Dieu vers le monde et le monde vers Dieu. C’est ce que nous sommes appelés à faire !
Propos recueillis par Gwenaelle Brixius et Yolande Baldeweck