Accueil ou évangélisation, tradition ou modernité, les débats sur les priorités à mettre en œuvre sont légion dans le protestantisme. Certains favorisent des temples ouverts à la rencontre où se partagent la présence au monde et le soutien auprès des plus défavorisés, vus comme les conséquences de la foi. D’autres centrent la vie chrétienne sur la prédication et la conversion du cœur. D’autres encore tiennent aux traditions et à la permanence des formes du message évangélique dans un monde en mouvement constant. On pourrait multiplier les priorités musicales, théologiques ou de témoignage. Et bien sûr dans le protestantisme, chacun peut jurer mettre tout en œuvre pour assumer l’ensemble de ces axes de priorité.

Une force latente

Pourtant, 58 % de la population française dit ne pas avoir de lien avec une quelconque Église ou religion, de nombreuses paroisses se plaignent d’une saturation de leurs forces vives par la gestion administrative ou immobilière, certains temples ont parfois peine à se remplir malgré le foisonnement d’idées et d’activités. La question d’une stratégie plus globale est donc posée. Elle commence par un constat simple : les personnes engagées dans la vie ecclésiale mettent leur foi, leur énergie et leur sens du service au bénéfice de l’action locale concrète et cela représente une force réellement impressionnante. Comment donc unir cette force pour un témoignage plus prégnant dans le monde ?

Histoires d’adaptation

Chaque lieu, avec les convictions et la vision qui lui sont propres, a essayé durant les dernières décennies de faire grandir l’Église. Dans les années 70 se sont construits, dans les villes nouvelles, les centres culturels dont certains demeurent aujourd’hui encore, souvent avec succès.

Car l’Évangile doit pouvoir se dire dans le monde, par le partage associatif, culturel et l’engagement citoyen. Au tournant de ce millénaire, on a promu le partage des ressources locales à travers la coordination, les groupes de jeunes interparoissiaux, la vie en secteur ou en consistoire. L’idée était peut-être en partie de mutualiser les forces vives, mais surtout de donner plus de souffle aux actions et aux rencontres, pour les rendre plus marquantes et dynamiques.

L’Église régionale a ensuite déployé des aides et soutiens pour accompagner la vie locale. Des cellules financières, immobilières ou de formation ont été créées ou renforcées, par exemple pour soutenir les trésoriers, les catéchètes ou les prédicateurs laïcs. Les paroisses ont enfin été invitées à se doter d’un projet de vie, dans la lignée du projet de l’Église nationale axé sur le témoignage.

Favoriser la foi de l’autre

Toutes ces opérations ont suivi une même optique : créer du nouveau et renforcer l’existant pour faire entendre la Parole, créer de l’activité, des échanges, du débat, des événements, du partage, de la joie. Cela a marché, bien sûr, car les forces humaines étaient vives et convaincues. Mais les 58 % de la population continuent de croître et le tissu administratif s’épaissit d’année en année. Il est de moins en moins possible de faire mieux ou de faire plus. C’est donc l’optique qu’il faut faire évoluer. Et pour cela, la théologie est fondamentale. Car en protestantisme, l’Église n’est pas intermédiaire entre Dieu et l’humain mais seconde, conséquence de la foi des Hommes. Autrement dit, elle est l’assemblée des croyants qui se réunissent pour vivre la Parole. Une deuxième conviction tient à la nature de la foi, qui n’est pas la croyance individuelle en tel ou tel dogme mais l’action de l’Esprit dans le croyant. Il ne s’agit pas de « croire à », mais de « croire en ». De ce point de vue, on pourrait considérer que le but du témoignage n’est pas d’aller chercher de nouveaux adhérents, mais de favoriser en chaque être humain l’action de l’Esprit, dans son être et sa vie quotidienne. À l’image biblique de la conversion de Paul, pour lequel des écailles tombent des yeux, l’action de l’Église dans le monde relève donc plus de l’accompagnement et du dévoilement personnels que de l’explication. Pour caricaturer, l’Église du Christ ne propose pas une vérité à tous pour que chacun y vienne, mais aide chacun à ce que soit dévoilée en lui une vérité de vie qui le mette en mouvement par l’Esprit.

Soulager les acteurs

C’est donc un travail de dévoilement. Retirer les obstacles à la foi pour la laisser germer. Suivre cette vision où l’Église n’est pas détentrice de la spiritualité mais accompagnatrice de la foi et balayeuse d’écailles implique un contre-pied dans de nombreux domaines et les exemples ne manquent pas. L’entraide paroissiale peut ainsi se concevoir comme occasion de don et contre-don, car demander à une personne socialement aidée de s’investir dans le soutien à autrui est une manière de lui témoigner de son utilité et de l’importance profonde de sa vie aux yeux de Dieu. L’étude biblique peut être le lieu d’une parole partagée, où chacun apporte sa pierre et prend place en tant qu’acteur. Le groupe de jeunes peut être l’occasion d’une présence auprès des plus anciens et devenir échange d’expériences où se dévoile le sens de la vie. Tous les moments de la vie paroissiale sont à portée de ces réflexions.

Fraternelles nouveautés

Cela n’est pas nouveau et nombre de régions de l’Église protestante unie mettent en œuvre des projets de soutien et d ’accompagnement des paroisses. D’après nos informations, la région parisienne réformée est sur le point de voter des orientations dans ce sens. L’idée n’est pas de proposer un projet centralisé et volontariste pour les Églises locales mais de les soulager dans un premier temps des poids administratifs pour libérer leurs forces vives. Riches de ces ressources nouvelles, les projets paroissiaux pourraient bien en être dynamisés.

Dans cette Église du témoignage personnel, on peut s’attendre à ce que la créativité de certaines initiatives apporte de nouvelles façons de faire Église. Des projets verront peut-être le jour, qui ne ressembleront pas à ce que chacun peut connaître. À l’image de l’Église anglicane dont il est question dans le dossier de ce numéro, les laisser s’étoffer et se développer à côté de l’existant paraît important. C’est ici le lien fraternel qui est en jeu, car il ne s’agit pas de concurrence entre activités mais d’autres formes de témoignage et l’on ne peut bâtir un succès sur le dos du frère voisin. Libérer, valoriser et promouvoir d’autres formes de vie d’Église est un risque important que les anglicans ont accepté en mettant en place des lieux de débat au sein de leurs institutions et en pariant sur l’action de l’Esprit plus que sur les affres de l’esprit humain.

Combattre le repli

Un autre risque pour les paroisses de la région parisienne serait de se recentrer sur l ’action locale et de perdre de vue la dimension synodale de l’Église, le fait de marcher ensemble sous la même Parole. Développer les spécificités de chaque lieu peut en effet être vecteur de division, de singularité, d’isolement. On peut alors penser que cette stratégie d’Église pourrait être portée par des rencontres entre pairs, des partages d’expériences entre Églises vivant une action similaire. Là encore, cela milite pour ne pas considérer l’Église dans son organisation institutionnelle et géographique, mais y favoriser les échanges transversaux, informels ou d’affinités.

Germer, essaimer, choisir

Dans cette vision d’une Église qui n’est pas détentrice de la foi mais porteuse de dévoilement se pose la question des stratégies, communément appelées projet de paroisse. L’essentiel ici n’est peut-être pas de profiter de l’énergie rendue disponible pour prévoir d’assurer l’ensemble des activités imaginables, mais de renforcer quelques points vitaux. Mises à part quelques très grosses paroisses capables de mener plusieurs projets de front, l’ecclésiologie protestante ne prévoit pas qu’une Église locale devienne un catalogue de toutes les activités possibles. Elle est un lieu de témoignage, qui tient compte de la population et des forces disponibles. Dans les contacts que nous avons pu avoir auprès des nombreuses communautés de la région, choisir quelques actions précises semble être prioritaire. Certaines repensent à cette occasion le but des quelques actions qu’elles mènent, ce qui permet de les renforcer. À ce titre, pourquoi ne pas constituer des équipes de paroissiens capables de soutenir les projets de petites paroisses ? L’idée germe actuellement dans quelques paroisses plus importantes. Comme naît la nécessité d’une implantation sur certains nœuds ferroviaires du Grand Paris.

Car si la présence au monde est bien entendu centrale pour que se vive la Parole, ce monde est en pleine évolution. Le Grand Paris émerge de l’imagination des architectes urbains, il délimite de nouvelles zones de vie nécessitant de nouveaux accompagnements. 58 % de la population française, ce chiffre issu d’une étude sociologique de 2019, juste avant la crise du Covid, n’est pas une fatalité mais une incitation à dégager les chemins de l’Esprit comme un certain Jean le Baptiste voulait dégager les chemins de son Seigneur.