Il y a des gros mots en Église. Dans toutes les Églises. Démocratie en fait partie. « La culture théologique protestante ne parle pas de démocratie, mais de christocratie », nuance l’universitaire Fritz Lienhardt, dans un entretien paru il y a deux ans dans Réforme, en rappelant que « le protestantisme historiquement valorise le débat qui seul peut faire émerger la vérité ». Rappelant que synode signifie « faire chemin ensemble », « la culture du débat permet de dépasser l’idée d’une
démocratie perçue comme seule expression de la majorité, estime le théologien. Une fois la décision prise, la minorité est invitée à réfléchir à son application… »

On en semble loin en Uepal – du moins au sommet de l’institution. Car sur le terrain, inspections luthériennes et consistoires réformés travaillent souvent de concert. Pour les dix ans de sa création, des luthériens et des réformés, pasteurs et laïcs, avaient tenté d’identifier les freins à l’Union. Ils tiennent à des organisations différentes, jusque dans la temporalité des mandats. Mais aussi aux rapports entre majorité et minorité, selon une règle de « quatre luthériens pour deux réformés », qui prévaut à tous les étages. Le groupe ne s’était pas aventuré à analyser les relations interpersonnelles.

Quatre fois par an, un minimum pour un Parlement d’Église !

Les signataires – dont l’auteure de cet article – avaient recommandé de définir les compétences du président de l’Uepal, actuellement Christian Albecker, président de l’Église protestante de la confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine (Epcaal), et des deux vice-présidents, Christian Krieger, président de l’Église protestante réformée d’Alsace et de Lorraine (Epral), et Patricia Rohner-Hégé, vice-présidente l’Epcaal. Sans doute eût-il fallu proposer une médiation, car les tensions ne se sont pas apaisées depuis. Palpables lors des réunions, elles ont été portées à leur paroxysme au moment de la contestation, par le Directoire (luthérien), de la candidature du réformé Christian Krieger à la tête de la Fédération protestante de France (FPF).

Ni le Consistoire supérieur, ni l’Assemblée de l’Union n’en ont été informés. Élu par le conseil de la FPF, Christian Krieger prendra ses fonctions en juillet. Ce « dissensus » a eu des suites, puisque le président de l’Uepal a démissionné de sa vice-présidence de la FPF. Sa vice-présidente en a quitté le conseil sans être remplacée. Là encore sans communication. « N’avons-nous plus rien à dire, comme Église d’Alsace, au sein du protestantisme français ? » s’alarme un observateur.

Désireux de reprendre la main dans « la dernière ligne droite de son mandat », le président Albecker veut, entre autres, réétudier l’hypothèse d’« une Église unie trop vite écartée » en 2006. Et pour cause. Les spécialistes du droit local alsacien-mosellan sont circonspects s’agissant d’une refonte des lois organiques de 1802. S’il était saisi, le Parlement aurait toute liberté de supprimer le statut local des cultes, du moins des protestants… Moins risquée, une renégociation du décret de 2006 avec le gouvernement suppose l’assentiment du Conseil d’État. Surtout, les différentes options – y compris celle d’une présidente ou d’un président de l’Uepal qui ne serait pas à la tête d’une des deux Églises – exigent un consensus entre luthériens et réformés.

« Avant de se lancer dans des réformes de structures très risquées, qui prendront beaucoup de temps, ne faudrait-il pas faire tourner correctement des institutions certes imparfaites ? » questionne Jean Volff, ancien vice-président de l’Epcaal, auteur d’ouvrages juridiques qui font référence. « Il est possible de faire fonctionner le cadre napoléonien, y compris le Consistoire supérieur, de manière plus démocratique », assure un autre juriste. Avec « plus de débat, plus de transparence, plus de collégialité », dans les assemblées et conseils qui sont souvent des chambres d’enregistrement.

Insuffler l’esprit d’une Église unie

« Le montage juridique est souple. On n’a pas été au bout dans la pratique », concède Jean Weber, qui a été l’artisan, avec le président et théologien Jean-François Collange, du décret de 2006. À l’entendre, « rien n’empêche de convoquer l’Assemblée de l’Union plus de deux fois par an. Quatre fois par an serait un minimum pour un vrai Parlement de l’Église ! » Pour sortir de l’ornière, Jean Weber préconise des « États-Généraux de l’Union », avec les anciens présidents et vice-présidents « pour raconter le récit de l’union ». Et ensuite, avec « des professeurs de théologie et des personnalités protestantes, rechercher les voies pour parachever l’édifice… »

À côté des réflexions institutionnelles, « on peut insuffler l’esprit d’une Église unie dans nos réunions, dans nos assemblées », propose une pasteure qui croit davantage en « la force de lieux de réflexion alternatifs pour faire vivre l’esprit d’union ». Des lieux pour se parler et préparer l’avenir. Où chacun, luthérien comme réformé, a sa place pour cheminer et porter témoignage.