En France et en Europe, l’Afrique est longtemps restée un objet de bande dessinée. Tintin au Congo, publié par Hergé dans sa version couleur en 1946, en est l’exemple le plus emblématique. Vendu depuis à plus de 10 millions d’exemplaires, il a contribué à ancrer l’image arrêtée d’une Afrique colonisée en retard sur le monde, au risque de stéréotypes grossiers.
Les temps changent. La BD africaine s’affirme aujourd’hui. L’Afrique est devenue actrice, créatrice de BD, comix, récits graphiques. Les six volumes de Aya de Yopongon, écrits par Marguerite Abouet et dessinés par Clément Oubrerie, se sont vendus en France comme des petits pains. Publiés entre 2006 et 2010, ils ont contribué à faire sortir la BD africaine francophone du ghetto. La revue Africultures a emboîté le pas, en publiant, sous la plume de Christophe Cassiau-Haurie, un superbe Dictionnaire de la bande dessinée d’Afrique francophone. Édité en 2013, il « ne parle pas de bande dessinée africaine, mais bel et bien de bande dessinée d’Afrique »(1), sur le mode de notices courtes et informatives. On apprend mille et une choses ! L’Association Congolaise pour la promotion de la Bande Dessinée, fondée en 2002 (décrite p.14) n’aura plus de secrets pour le lecteur.
Mais cet excellent dictionnaire ne dit pas tout, et passe notamment sous silence une large part de la production illustrée de catéchèse. L’enseignement chrétien pour les adolescents, illustré en BD, n’apparaît quasiment pas.
Les protestants francophones, bien loin de l’idée reçue qui voudrait qu’ils n’apprécient guère l’image, n’ont pas été les derniers à développer ce secteur en Afrique. Les courts albums Eclats Bandes Dessinées d’Afrique en témoignent. Ils sont édités en partenariat avec Publications pour la Jeunesse Africaine (PJA) et Jouv’Afrique, le « magazine de la jeunesse africaine ». Ce dernier a été fondé en 2010 au Cameroun par une jeune équipe qui cible le public adolescent francophone d’Afrique de l’Ouest entre 13 et 20 ans. L’organisation chrétienne internationale Comix35, basée aux États-Unis, est à l’origine du projet. Elle le porte via un représentant basé en France, Gregory Burgess, chargé de coordonner, collecter et valoriser les oeuvres reçues. En septembre 2012, elle a notamment organisé COMIXCAM, un séminaire de BDéistes africains étalé sur cinq jours à Yaoundé, au Cameroun, et prolongé le 6e jour par une journée de formation à la bande dessinée à l’Institut Français du Cameroun, avec le Collectif A3 et Yannick Deubou(2).
Trois volumes BD Éclats d’Afrique ont été publiés jusqu’à présent, en 2011, 2013 et 2014. Il s’agit d’anthologies regroupant de courts récits BD publiés par ailleurs dans le magazine Jouv’Afrique. Ils illustrent, via des histoires courtes en format A4, différents défis posés par la pratique concrète de la foi chrétienne dans sa version protestante et évangélique. Comment rester honnête lorsque l’on triche autour de vous ? Comment consacrer du temps à sa piété personnelle quand tout se bouscule ? Comment résister à la tentation ? Comment pardonner à celui qui vous a fait tant de mal ? Comment survivre aux attaques des coupeurs de routes ? Comment éviter la sexualité trop précoce et ses pièges ? Comment témoigner de sa foi dans son travail ? Ces enjeux, et bien d’autres, sont traités au fil de ces trois albums francophones réalisés par un collectif d’auteurs et illustrateurs des deux sexes, presque tous africains.
Dans le premier tome (2010), mis au point grâce à neuf contributeurs, on découvre notamment un scénario d’Ivana Fotso-Fotso, étudiante en lettres modernes françaises à l’Université de Yaoundé. Dans cette histoire, intitulée « Conflit », elle raconte comment la mise en pratique de l’Evangile va permettre progressivement d’apaiser les relations excécrables entre un fils et son père. Illustrée par Benjamin Koudiao, professeur d’arts plastiques en Côte d’Ivoire, elle vise, comme les autres récits du volume, à l’inculcation pratique d’un ethos chrétien basé sur la Bible.
Les douze contributrices et contributeurs du volume 2, ainsi que les onze auteurs et illustrateurs du volume 3, s’inscrivent dans la même veine. La Bible, livre de référence pour les protestants, apparaît dans chaque histoire comme vecteur d’une « Parole de Dieu » qui déverrouille des situations concrètes compromises. Ainsi, dans l’histoire « Sans conditions » de Jean-Noël Ndiba, dans le volume 2, un père décide de ne plus faire de favoritisme entre ses enfants en fonction de leurs résultats scolaires, car « rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu », qui aime sans conditions (Romains 8, 38). La prière est fortement valorisée aussi, à l’image de cette supplique adressée à Dieu par une mère de famille sans ressources afin que son fils puisse aller au lycée (histoire « Ma joie est grande Seigneur », volume 3, de Côme Bringua).
Depuis le Cameroun, la Côte d’Ivoire, la République Centrafricaine, le Congo Brazzaville, le Gabon, le Sénégal, le Tchad (pays d’origine des auteurs), ces récits illustrés traduisent l’ethos chrétien protestant dans les cultures de l’Afrique de l’Ouest et ouvrent une lucarne pleine de fraîcheur et de vivacité sur ces vastes horizons de la francophonie protestante d’Outre-Méditerranée. A suivre !
(1) Christophe Cassiau-Haurie, Dictionnaire de la bande dessinée d’Afrique francophone, Paris, L’Harmattan, 2013, p.14.
(2) Séminaire raconté (et illustré) dans Eclats d’Afrique n°2, 2013, p.43.